La Traviata, une dévoyée au grand coeur
Vous pensez que l’opéra est élitiste et poussiéreux ? Je vais vous prouver le contraire aujourd’hui en revenant sur l’une des œuvres lyriques les plus jouées au monde, et, à titre personnel, celle qui me bouleverse plus que toute autre, la Traviata de Verdi !
La Traviata, c’est quoi ? « Traviata » signifie « dévoyée » en italien. Le décor est posé… Cette dévoyée, c’est Violetta, une courtisane rongée par la vie dispersée qu’elle mène, jusqu’à sa rencontre avec Alfredo, un jeune bourgeois fou amoureux d’elle. Violetta, attachée farouchement à sa liberté, finit pourtant par céder à ce nouveau bonheur qui s’offre à elle. Mais la tragédie n’est jamais loin… Rappelant les mythes grecs, la figure paternelle fait irruption et brise l’équilibre fragile d’une jeunesse insouciante. Le père d’Alfredo persuade Violetta de renoncer à son fils. Cette dernière retourne à sa nouvelle vie, non sans désespoir et finit par mourir, épuisée par cette société hypocrite.
Si Verdi a écrit un chef d’oeuvre, justice doit être rendue à Alexandre Dumas fils qui a écrit La Dame aux camélias, dont le maestro s’est inspiré. Dumas s’inspire alors de sa propre histoire d’amour tourmentée avec la célèbre demi-mondaine, Marie Duplessis, morte à l’âge de 23 ans : « N’ayant pas encore l’âge où l’on invente, je me contente de raconter ». D’une grande beauté, Marie Duplessis avait choisi pour emblème le camélia, fleur onéreuse et surtout éphémère. Dumas tire de son roman une pièce à succès que Verdi découvre en 1852. Il s’adresse alors au librettiste Francesco Piave pour l’adaptation. L’intrigue est profondément édulcorée, le statut social de l’héroïne est plus flou, la fin moins cruelle. Les sentiments prédominent au détriment de la violente satire contre la bourgeoisie. Après tout, ce sont les bourgeois qui assistent à l’opéra… Curieusement, la première représentation est un fiasco total mais la reprise de l’opéra, un an plus tard, en fait un triomphe qui ne s’est pas démenti depuis !
Dumas comme Verdi proposent une adaptation de ce qui est devenu un véritable mythe romantique : la rédemption de la courtisane amoureuse. De Balzac à Zola, en passant par Hugo, la plupart des auteurs du XIXe siècle ont repris le thème de la prostituée au grand coeur, réhabilitée par l’amour et la mort. L’évolution des régimes politiques a aussi rendu le public plus sensible à l’histoire tragique de toutes ces jeunes femmes, montées à Paris dans l’espoir d’une vie meilleure, et broyées par une société à la fois hypocrite et violente. Violetta est une contradiction vivante : elle brûle la vie, multipliant les fêtes, les spectacles, les amants, mais semble pourtant ne vouloir qu’une seule chose : vivre l’amour véritable dans une maison bourgeoise. Violetta, véritable sainte à la fin de l’opéra, est sauvée aux yeux du public par sa souffrance et le sacrifice auquel elle consent, broyée sur l’autel des valeurs bourgeoises. Les mises en scène contemporaines sont souvent très dépouillées et effacent presqu’entièrement le cadre mondain du Paris du XIXe pour ne retenir que la tragédie intime de la rupture amoureuse.
Si cet opéra a fait date, c’est aussi parce que Verdi a apporté un souffle nouveau dans la musique romantique. Je vous propose de (re)découvrir quelques-uns des airs les plus célèbres de la Traviata, des airs que, personnellement, j’adore, et que vous pouvez tout à fait écouter entre deux métros, tant ils sont universels ! La musique vous raconte l’histoire. De fait, chaque acte de la Traviata possède une couleur particulière : le premier est mondain, frivole, virtuose, le second plus intime, le troisième déchirant et tragique. Voici quatre airs que j’aime particulièrement dans cet opéra, il y en a bien un qui vous plaira !
Le prélude. C’est sur ces notes que s’ouvre l’opéra. En vérité, tout est là. Ce sont des violons déchirants qui dominent la première partie. On entend la mort et la souffrance. Le deuxième thème est plus expressif, c’est le thème de Violetta amoureuse. Les violons sont rapides et secs. Le contraste entre les deux thèmes rend le tout très mélancolique. Le voici joué aux Proms, en 2013, un festival très réputé en Angleterre.
« Libiamo ». Vous connaissez sans doute cet air, véritable « tube » de la musique classique. Le rythme est ternaire, dansant, il évoque avec grâce et légèreté l’insouciance et la volupté qui entourent la jeune femme, ignorante de la tragédie qui s’annonce. Il est aussi l’occasion d’un premier duo avec Alfredo. Voici une mise en scène qui a fait date par son dynamisme et sa théâtralité, celle du festival de Salzburg en 2005, avec Anna Netrebko, véritable star du monde lyrique, et Rolando Villazon.
« Sempre libera ! » Probablement l’air que je préfère de tout le répertoire lyrique ! Violetta chante sa soif de liberté jusqu’à atteindre les notes les plus aiguës de sa tessiture. Le chant est tantôt désespéré, tantôt velouté, et s’achève par un air brillant qui fait toujours son effet ! Voici ici la reprise de cet air dans un très beau film que je vous conseille vivement, Le Maître de musique.
« Addio del passato ». Voici l’un des derniers airs que chante Violetta. Sa voix a changé, elle se fait plus grave, plus douloureuse. La courtisane lutte pour sa vie. C’est d’ailleurs le seul moment où le mot « traviata » est prononcé et c’est dans un contexte paradoxalement spirituel. L’orchestre se fait particulièrement feutré et le souffle de Violetta la quitte à mesure qu’elle renonce à la vie. Le voici chanté par l’unique Maria Callas, celle qui, plus que toute autre, a incarné la Traviata, dans sa chair et ses souffrances.
J’espère vous avoir convaincus de découvrir ce chef-d’oeuvre de l’opéra romantique, alors n’attendez plus et laissez-vous attraper par le virus de l’opéra !
Références précises des mises en scène :
*Traviata, prelude : BBC Proms 2013. Orchestre symphonique de Milan conduit par Xian Zhang.
*Traviata, “Libiamo, ne’lieti calici”. Festival de Salzburg. Mise en scène de Willy Decker. Avec Anna Netrebko, Rolando Villazon et Thomas Hampson.
*Le Maître de musique (1988), réalisé par Gérard Corbiau.
*Traviata, 1952. Orchestre symphonique de Turin, avec Maria Callas.
Si vous souhaitez lire mes autres articles sur mon blog, c’est par ici ! https://porteplumeweb.wordpress.com
Basquiat à la Fondation Vuitton: la visite enchantée
La complainte du marin moderne : la poésie comme dessein