Charly Bell : la dalle du monde
Jerry le savait, la section commentaires de YouTube était le repère des merdes humaines : il ne fallait pas plus de liberté pour qu’un individu sans recul sur lui-même ne fût tenté d’enrichir le monde de son avis. Son intérêt se porta sur une chanson qui revenait souvent dans ses recommandations : “Je m’ennuie”, de Charly Bell. Quelle ne fut pas sa surprise quand il découvrit que les commentaires traduisaient la nonchalance d’esprit de ses contemporains. Une question éclata soudain : le message de la chanson était-il à ce point inaudible ?
Une brève contextualisation est nécessaire : Charly Bell, artiste signée Wati B, s’ennuie, mortifiée par ses rêves de faste et sa réalité économique. Son envie ? Faire une chanson qui marche et l’extraie de sa léthargie sociale ; qu’enfin des folies soient possibles. Si l’idée semble simple et l’air joyeux, il y a pourtant quelque chose de plus profondément mélancolique : ce que l’artiste pointe, assez subtilement, c’est la dépression ; c’est l’ennui structurel ; c’est le rouage rouillé d’une société qui force à la monotonie de l’existence. Pourtant, devant des problèmes qui nous semblent si vifs aujourd’hui, pourquoi recueille-t-elle des commentaires si hargneux ? Quelques pistes pour ces écrans.
La forme : une voix décalée, des paroles simples ?
Comme assez fréquemment sur YouTube, les artistes s’attirent les foudres d’auditeurs exigeants ! Dans une certaine vidéo, Mister JDay produisait une critique à la fois ludique et humoristique (<3) des textes de Charly Bell : s’attaquant à la voix de l’artiste par le biais d’une référence à la pop culture, les chipmunks, ainsi qu’au niveau de ses textes, conçus pour “jeunes filles de 8 ans”, le YouTuber suggère (<3) à sa communauté une vision de ce que n’est pas la bonne musique. Avec Charly Bell, on assisterait à l’extension du goût prosaïque, du lexique appauvri, des thèmes sans valeur et autres apparats de la médiocrité des chanteurs d’aujourd’hui. Ce n’est pas sans influence puisque l’on retrouve dans la section commentaires, dans la bouche des différents commentateurs, maintes analyses produites dans la vidéo susmentionnée : la chanson est mauvaise, la voix est nauséeuse, pouce vert si t’es là grâce à Mister JDay. Afin pourtant de ne pas être de mauvaise foi, il est bon de préciser qu’il existe un pendant positif à ces critiques répercutées, quoique beaucoup plus rare : les commentaires neutres ou béats.
Du même coup, parasité par ces éléments de surface, le sens profond est-il devenu inaudible ? Des 2000 commentaires observés, il semblerait que l’hypothèse puisse se tenir debout. “Je m’ennuie” parle pourtant d’une crise morale très liée à la modernité médiatique : l’absence de sens d’une vie mise en compétition avec mille autres plus brillantes ; la dépendance absolue à la reconnaissance d’un auditorat, sans qui rien n’est possible ; l’emprisonnement dans le terne en raison d’un faible pouvoir économique ; enfin, la problématique du savoir comment se placer vis-à-vis des autres dans un système où une partie de la pression sociale consiste en ne pas devoir se plaindre de sa condition. Tant de thèmes qui traitent de maux répandus et alimentent nos réflexions.
Le paradoxe dans la structure
Une autre piste concernant le manque de réceptivité du public serait la forme : parler d’un mal-être, sans paraître trop victimaire, dans une chanson à l’air dansant ? Il devient évident que Charly Bell n’a pas perdu de vue son objectif : faire danser, proposer un son entêtant, percer ; cette honnêteté frontale dans la démarche peut n’être pas comprise, voire déconcerter. (Pour éviter la facilité, on ne parlera pas de la jalousie des uns vis-à-vis de la proactivité des autres.) Par-delà les limitations de sa condition économique, il y a donc l’acharnement, le travail, la production de clips, l’écriture qui viennent corroborer le désir de l’artiste du Wati B de conquérir du monde musical. L’artiste est souriante et combative. Provocante dans sa joie et stable émotionnellement. Superbement sincère dans le contenu de sa musique.
L’on pourrait également parler attitude genrée, l’artiste assumant son choix de chemin avec une frontalité que l’on qualifierait volontiers de masculine, et dire que cela choque le construit traditionnellement, mais ce serait pousser cet article sur des voies trop convenues. Pour vous quitter donc, une citation finale :
Pas question de rester là comme une quiche,
Un verre en main qui doit me tenir pour toute la résoi.
Du coup, refus de l’assujettissement au déterminisme économique ou chanteuse analphabète ? Reste plus qu’à donner ton avis sur YouTube. mdr
The end.
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