Acte II Scène 2 – Pedro Moreira Art
Un petit café de province, L’ENCHANTEUR et PEDRO sont assis autour d’une tasse de café.
L’ENCHANTEUR – Cela me paraît tellement incroyable d’être en face de toi Pedro !
PEDRO – Ah oui ? Mais pourquoi ?
L’ENCHANTEUR – Un artiste brésilien, étudiant au Portugal et passant ses vacances en France, dont il maîtrise d’ailleurs la langue, je ne pouvais pas avoir plus de chance ! Mais comment peux-tu avoir des rapports avec autant de pays ?
PEDRO – Eh bien je suis de nationalité brésilienne, mais une partie de ma famille réside en France, d’où ma connaissance plus ou moins sommaire de la langue. Enfin, j’ai choisi de partir au Portugal afin de faire un Master de création artistique contemporaine. C’est d’ailleurs dans le cadre de celui-ci que je me suis mis à pratiquer le dessin.
L’ENCHANTEUR – Ce qui veut dire que tu ne dessinais pas avant ?
PEDRO – Non ! De base je suis danseur et comédien. C’est vraiment pour les besoins de mon Master et plus particulièrement de mon sujet de mémoire que je me suis mis à dessiner !
L’ENCHANTEUR – Ah très bien… Et quel est ce sujet ?
PEDRO – il s’intitule « Masculinités possibles » mais comme je suis dans un Master de création je devais pouvoir le lier à un travail pratique. J’ai donc commencé à dessiner des hommes…
L’ENCHANTEUR – Et pas n’importe quels hommes ! Faire du dessin homo-érotique c’est tout de même un choix particulier. Qu’est-ce qui t’a poussé à choisir un tel thème ?
PEDRO – J’ai toujours eu un fort intérêt pour le thème de la sexualité, que ce soit la mienne, ou celle des autres. J’interroge sans cesse mon homosexualité, et les rapports que j’entretiens avec cette dernière. Et puis insérer ce thème dans mon art était un moyen pour moi de contrer une tendance à l’art classicisant au Brésil, d’opposer une certaine forme de résistance face à un art traditionnel qui prend trop de place dans mon pays. Mes dessins sont une manière, à petite échelle, de militer pour un art et une sexualité libres.
L’ENCHANTEUR – Tu parles de sexualité libre, mais étrangement dans tes dessins on n’a aucun traitement des visages, aucune individualisation, pourquoi ? Tu ne penses pas que ce soit réducteur au final ? Enfin, est-ce vraiment une sexualité libérée si tu te sens le besoin d’anonymer les hommes que tu mets en scène ?
PEDRO – À vrai dire c’est plus un moyen d’éviter la frontalité pour moi. Ne pas donner de traits aux visages me permet d’introduire une forme de lyrisme dans mes dessins, j’aime à jouer sur la notion de voile. Le fait de cacher le visage des hommes n’en rend ce qui est montré, le corps de manière générale, que plus beau et plus attractif. D’ailleurs à l’inverse j’ai fait le choix de jouer sur une diversité des corps, que ce soit au niveau de la musculature, de la couleur de peau ou encore des modifications corporelles.
L’ENCHANTEUR – Et en parlant de voile, j’ai remarqué que dans beaucoup de tes dessins il y avait des hommes avec un bandeau sur le visage, est-ce en lien avec une pratique BDSM ?
PEDRO – Pas du tout, j’ai tendance à penser que les plus grands fétiches sont dans la tête et que, de fait, il n’y a pas forcément besoin d’accessoires pour profiter pleinement du moment. Le bandeau a plus une portée symbolique pour moi. Quand on y réfléchit bien, le passif n’a pas besoin de voir l’actif lors de l’acte sexuel alors que l’actif à l’inverse aura toujours le passif dans son champ de vision, ce qui crée un rapport de domination. De manière générale dans les rapports homosexuels, si l’on pense qu’il y a une domination c’est parce que l’actif ne pense qu’à être dans le passif, mais en réalité c’est le passif qui a tout pouvoir sur le déroulement de la pénétration, puisque c’est lui qui est à même de savoir si pénétration il y aura ou non et si c’est le cas comment elle se déroulera.
L’ENCHANTEUR – C’est un raisonnement très intéressant je dois dire, je n’avais jamais pensé les rapports sexuels de cette façon. Mais implicitement dans tes dessins tu nous parles aussi de certains stéréotypes genrés… Quand on y regarde bien, tes dessins ne montrent que des sexes érigés, ils n’apparaissent que rarement au repos. N’est-ce pas se conformer à un esthétisme culturel et social que de représenter le sexe masculin en érection, long et épais ?
PERDO – Si bien sûr, mais je ne peux le nier, mes dessins ne se privent pas d’une certaine forme d’esthétisme. En même temps ce sont des normes esthétiques tellement ancrées dans la société qu’il est difficile de s’en passer. Moi le premier j’ai tendance à idéaliser le sexe masculin et à le voir comme cela, il me paraît donc logique que je reproduise même de manière inconsciente ce schéma dans mes dessins ! Et puis si je dessinais des sexes au repos, ne chercherais-tu pas à interpréter cela comme une résurgence du nu héroïque antique avec la norme esthétique du petit sexe ?
L’ENCHANTEUR – Il est vrai que j’aurais sans doute posé une question de ce genre… Tu me prends un peu de court ahah, et c’est le cas de le dire ! Mais restons sérieux, j’ai une question qui me traverse l’esprit depuis le début de notre entretien.
PEDRO, regardant sa montre – Je t’écoute, mais fais vite, on va rater le début de l’exposition !
L’ENCHANTEUR, finissant précipitamment sa tasse de café – Ah oui, j’avais complètement oublié cette exposition d’art ! Bref… Y a-t-il une part autobiographique dans tes dessins ? Enfin, comme tu l’as dit tes dessins parlent de sexualité, de ta sexualité, mais est-ce de manière générale ou illustres-tu des moments particuliers de ta vie sexuelle ?
PEDRO – Je m’inspire de ce que j’ai connu, vécu, entendu, mais je ne me dessine pas pour autant. Évidemment il y a une part autobiographique, mais comme chez n’importe quel artiste à mon avis. L’art implique toujours à plus ou moins grande échelle que l’artiste donne quelque chose de lui-même, mais pour autant je ne suis pas le protagoniste de mon travail, la preuve en est que je ne cherche pas la narration dans mes dessins !
L’ENCHANTEUR – Tu ne cherches pas la narration ? Qu’entends-tu par-là ?
PEDRO – Eh bien tout simplement qu’encore une fois je cherche uniquement à suggérer des visions, des corps, pas à les imposer. Du coup j’essaye autant que je le peux de travailler sur une portée symbolique, notamment au niveau des couleurs que j’utilise, particulièrement le doré, qui est la couleur des saints et qui amène à une certaine forme de spiritualité réflexive, ou encore le bleu qui est porteur de connotations genrées masculines dans notre société. Mais ça suffit, il faut vraiment qu’on y aille avant d’être en retard !
L’ENCHANTEUR, se levant pour sortir – Oui, c’est vrai, pardon ! Allons-y, mais merci d’avoir répondu à mon interrogatoire !
Ils sortent du café et marchent d’un pas rapide vers d’autres horizons.
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Un petit café inoubliable!
merci! 🙂