Saison torride
Arrive la saison torride, où les étudiants les plus fortunés s’en vont sur la route des entreprises pour goûter à la vie dans ses traits les plus répandus. Jerry, dans son humeur gaillarde, délivre ce texte sur la brutalité des hommes d’aujourd’hui.
L’histoire semblerait commune. C’était Mike qui les avait fait se rencontrer au détour d’un café du dix-neuvième arrondissement. Très vite, mordus par de puissants désirs, le romantisme à la française fit place aux passions plus américaines. Les musiques qui flottaient dans l’air chutèrent pour se déchirer, comme un ruban, sur les branches d’un arbre. Ils prirent une chambre…
Deux longues jambes, sur le rebord de la douche, jouaient à faire les ciseaux ; les ischios se tendaient, se détendaient ; les doigts délicats de ses pieds jetaient leurs pointes capiteuses aux visages griffés des passions débordantes. Il n’y avait lors rien de plus puissant pour affliger un homme de sa propre construction : pas à pas et sans honte, la chair se mit à rugir de félicité.
Ces deux longues jambes sur le rebord de la douche et ce visage un peu plus loin, dont la joue alanguie s’écrasait mollement sur la faïence, appelaient l’imagination. Presque impuissant, l’homme la convoqua. Elle grognait tendrement. Elle ne sortit pas de son bain. L’eau ondulait sous les guitares de l’instant. Il ne tint plus. Un fil se délia qui fit tomber le seul tissu qui protégeait son sexe lourd de ces deux jambes jouant aux ciseaux. La femme à l’attention ressuscitée se rehaussa sur ses deux coudes et plissa ses deux yeux : l’homme s’ébranlait devant elle. Sa langue se mit à claquer en professant quelques mots à la mode.
« COUPEZ ! » Une caméra tomba sur le sol. Mike n’en pouvait plus d’écouter cette merde. « Il faut que tu sois moins primaire, Gérard ! Sérieusement ! On n’est pas Jacquie et Michel ! Langue pendue, mouvements frénétiques, ah non ! Sois plus langoureux, nos spectateurs recherchent de la sophistication ! — Excuse-moi, Mike ! — On reprend ! » Après un temps d’initialisation : « Et… action ! »
Gérard devenait plus lascif. En bas, en haut, en bas, en haut ; puis en ralentissant, en bas… en haut… Sa queue roulait dans sa main comme une valve entre les mains d’un ouvrier. En bas… En haut… À la caméra, l’effet que cela produisit sur Anshula était splendide ! Ses yeux vrillaient comme s’ils étaient en prise avec un charme incoercible. « Voilà ! criait Mike, prépare-toi à avaler cette bite comme une patate douce ! » Sortant son buste de la baignoire comme un cobra de sa corbeille, la femme se jeta sur la queue gonflée. Quel membre photogénique ! Long, veineux, incurvé, brillant de salive ! Un frein serré que surmontait un gland ciselé dans le marbre, format vingt centimètres ! Des bruits de succion ténébreux, slurp! slurp!, rythmaient la scène. « Continue, Anshula ! gueulait Mike, la langue en lasso, suce-moi cette bite ! » Et Anshula suçait, suçait. Gérard ne tenait plus cette brûlure et gesticulait follement ; c’est alors que sa lèvre supérieure se pinça : il ôta d’un coup sa queue de la bouche angélique et se branla avec une ardeur de statue. Les ombres creusaient chacun de ses muscles tendus : un filet bouillant découpa enfin l’espace. Sur la peau d’ambre d’Anshula, les arabesques du fantasme masculin creusaient un sillon blanc. Ils se rhabillèrent, touchèrent leur billet et retournèrent enfin à leurs vies respectives.
Le mercredi qui suivit, Saison torride cartonnait sur les sites de cul. Le lundi qui suivit encore, une grosse boîte de la porn industry l’achetait grassement. Mike avait une fois de plus visé au plus juste des passions de l’homme. Le vingt-et-unième siècle était fasciné par l’Altérité.
The end.
Quoi ?! C’est déjà fini ? Jerry t’a subjugué par son art du récit ? Voici un lien vers une autre nouvelle : À l’article de la mort ! Un texte biographique sur la vie d’un vieux romancier à succès.
Basquiat à la Fondation Vuitton: la visite enchantée
La complainte du marin moderne : la poésie comme dessein