Il y a cent ans… mourait Claude Debussy
Aujourd’hui, je vous propose de découvrir l’un de nos compositeurs français les plus brillants, et pourtant, les plus méconnus aussi, Claude Debussy. Pourquoi maintenant ? Parce que le 25 mars dernier, nous avons célébré le centenaire de sa mort. À cette occasion, de nombreux concerts étaient organisés un peu partout en France, l’un d’eux a été donné à l’Auditorium de Lyon par les talentueux élèves du Conservatoire national supérieur de musique de Lyon. Puisque ces derniers ont interprété le célébrissime Prélude à l’après-midi d’un faune, c’est aussi cette oeuvre que je vous présenterai aujourd’hui. Petit conseil au préalable, allez plus bas et lancez la musique pendant que vous lirez ces lignes, ça n’en sera que plus parlant…
Compositeur de génie qu’on a souvent qualifié d’inventeur de la musique « impressionniste » (bien que le terme soit contesté par les musicologues contemporains), Debussy n’a jamais vraiment été compris par ses contemporains. Encore aujourd’hui, sa musique apparaît souvent déroutante. Moi la première, j’ai parfois eu du mal avec certaines œuvres.
Le Prélude à l’après-midi d’un faune est inspiré d’un poème de Mallarmé évoquant les états d’âme d’un faune se délassant auprès de nymphes sur la pente de l’Etna. Debussy écrit lui-même : « la musique de ce prélude est une très libre illustration du beau poème de Mallarmé. Elle ne désire guère résumer ce poème, mais veut suggérer les différentes atmosphères, au milieu desquelles évoluent les désirs, et les rêves de l’Égipan, par cette brûlante après-midi. Fatigué de poursuivre nymphes craintives et naïades timides, il s’abandonne à un sommet voluptueux qu’anime le rêve d’un désir enfin réalisé : la possession complète de la nature entière ».
Un prélude, en musique, c’est une petite pièce qui introduit une oeuvre plus importante. Au XIXe siècle, Wagner remplace l’ouverture traditionnelle des opéras par des préludes. Cette forme musicale devient indépendante et souvent courte, très ancrée dans la modernité. Avec ce Prélude à l’après-midi d’un faune (on remarque au passage que le titre de l’oeuvre établit une liaison directe entre la forme musicale de l’oeuvre et le contenu de ce qu’elle raconte), Debussy se démarque en faisant appel à un orchestre restreint, plus intime, et à certains instruments « exotiques », tels la flûte traversière et la harpe, ce qui contribue à donner une couleur presque orientaliste à ce morceau.
Sans doute en allusion au dieu Pan, c’est une flûte qui joue le thème principal de l’oeuvre. Curieusement, ces quelques notes m’évoquent des spirales, se nouant et se dénouant à l’image des rêveries du faune. Peu à peu, le thème s’enrichit des autres instruments de l’orchestre. Le tout est à la fois onirique et champêtre. Le thème s’épanouit en un crescendo étourdissant avant de s’affaiblir progressivement, jusqu’aux dernières notes. Ce qui m’a sans doute longtemps déroutée avec ce morceau, c’est qu’il y a très peu de repères, de marqueurs musicaux auxquels se raccrocher. Le rythme, langoureux, est lent, peu appuyé et les seules pulsations sont assurées par des cymbales antiques, ce qui est pour le moins audacieux dans un orchestre en ce début de XXe siècle. Les harmonies sont nouvelles et ne ressemblent à rien de connu. En effet, Debussy s’affranchit des règles traditionnelles de la tonalité en musique, notamment après avoir découvert des musiques orientales et africaines lors de l’Exposition universelle de 1889. Personnellement, cet air me fait surtout penser à des peintures préraphaëlites, comme ce tableau de Waterhouse qui représente une scène mythologique entre un jeune homme et des nymphes.
Mallarmé fut très content de l’adaptation de Debussy, comme en témoigne cette lettre : « Je sors du concert, très ému : la merveille ! Votre illustration de l’ “Après-midi d’un faune”, qui ne présenterait de dissonance avec mon texte, sinon qu’aller plus loin, vraiment, dans la nostalgie et dans la lumière, avec finesse, avec malaise, avec richesse. Je vous presse les mains admirablement, Debussy » (23 décembre 1894). Nostalgie et lumière, finesse et malaise, Mallarmé, décidément vrai poète, a trouvé les mots justes. Qu’en pensez-vous ?
Prélude à l’après-midi d’un faune, de Claude Debussy, joué par l’Orchestre symphonique de Montréal.
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