Fue le Fou
Il était une fois dans notre univers
Tant de vies cachées et contraires.
D’autres que vous commencez à bien connaître,
Et sûrement certaines auxquelles vous apprenez à vous faire.
Il est des vies d’amour et d’autres lourdes.
Enfin, alourdies par les années,
Car la plupart naisse avec cette perle du cœur
Et parfois, haine et ressentiment la ternisse par certaines heures.
Quel plus bel exemple
Que ce Panthéon naissant ?
Là où les entités doivent faire le monde,
Il arrive qu’elles soient faites par le monde.
C’est bien de l’une faite par la vie,
Et non pas réellement faite pour la vie,
Dont il sera sujet aujourd’hui.
Enfant caché et maudit,
Fou des lames de l’eau,
Fou des larmes du ciel,
Fou des brûlures et des gelures.
Oui, c’est un enfant épris de ce qui l’entoure
Dont la folie a germé dans l’esprit,
Le modelant instable et imprévisible ;
Le rendant facétieux et rusé mais aussi ignorant et naïf.
Il court sur la Terre et ses environs
Depuis des temps inconnus du « on ».
Personne n’avait connaissance de sa naissance :
Sa mère serait morte, disait-il.
Son père lui était inconnu, disait-il.
Sûrement avait-il exploré les surfaces
Avant même que les quatre Sœurs se dévoilent.
Alors Fue, oui, Fue, sautillait dans les natures,
Riant d’un bonheur des plus purs.
Ou étant animé de la plus irraisonnable et irraisonnée des colères.
Fue avait ce basculement facile des émotions.
Peut-être devrais-je vous conter la première,
Qui fut un bouleversement de l’ordre de la Terre.
La raison de celle-ci est différente
Chaque fois que la question lui ait posée.
Trébuchement et douleur,
Ou, Surprise et peur,
Ou, insulte de l’œil, de la parole ou du geste.
Enfin, là n’est pas l’importance,
Car s’il vivait ignoré de tous,
La fulgurance de son ire,
Le regard des entités a ouvert.
Ici, je vous raconterai une des multiples versions de cette histoire
Que l’on m’a rapportée un soir.
Il y eut à cette époque un temps de grande chaleur ;
Sans précédents, Soliel travaillait avec ardeur.
La terre se craquelait
Quelques filles d’Aeu dépérissaient.
Il fallait que Nimba et ses sœurs
Enfantent durant des heures.
Et lorsque cela arriva,
Leur labeur fut si terrible
Qu’à de trop nombreux et trop forts fils
Elles donnèrent naissance.
Les éclairs s’abattaient avec une puissance
Redoutable et effrayante.
Fue, lui, souffrait des brûlures du ciel.
Ses pieds nus laissaient des traces sanglantes
Sur la terre assoiffée et tremblante.
Le bois, dans lequel il se trouvait,
Perdait ses feuillages en bouquet,
Et en craquant, murmurait ses désirs d’eau.
Et l’enfant caché, dont la peau fumait, s’épuisait.
Alors Nimba et les autres nuages accouchent.
Le son déchire l’espace,
Fait sursauté Fue sur place.
Se tournant de tous les côtés,
Apeuré,
Il est surpris du coin du regard
Par un trait bleuté déchirant le ciel enténébré.
D’un instinct et d’une spontanéité considérables,
Il hurle, dirigeant d’une certaine manière,
Son cri, son corps vers ce bout de terre
Qui accueillait quelques arbres.
Ce moment précis où son énergie affolée
Et un fils de nuage
Se rejoignent sur un tronc
Sera gravé de force tant dans l’écorce
Que dans le temps.
Car soudain, une flamme naît et crépite
Au sein d’un des fils de Fuane.
Le feu, pouvoir et fils de Fue,
Dévore le bosquet d’arbres dans un brasier surpuissant
Que même la pluie ne sait faire taire.
Et ce n’est qu’après s’être alimenté
D’une presque entière forêt
Qu’il s’apaise et s’éteint.
Cet incendie premier qui fit lumière
Pendant plusieurs jours et plusieurs nuits sur Terre
Est immédiatement remarqué
Par les primaires entités.
Toutes enserrées de peur
Elles se mirent à consacrer leurs heures
A retrouver le coupable
De cet acte pour elles intolérable.
Pourtant, elles ne savaient qui chercher,
Loin de se douter,
Que le responsable, certes était fou, mais n’était qu’un enfant.
Et le premier à fuir et à souffrir de l’horreur de la scène était Fue.
L’effroi de cette vision,
Les pleurs et hurlements des vies brûlées
Avaient accélérés sa course,
Avaient accentués sa démence.
Car si les entités l’ont plus tard trouvé,
C’est que selon son humeur,
Il était foudroyeur
Ou fougue de joie.
Quelque soit son état,
Il se trouvait hors des lois.
Tantôt riant des étincelles fusant de ses doigts,
Tantôt rejetant la douloureuse couleur qui s’en échappait.
Pourtant le jour arriva,
Lors duquel un animal
Assista à un nouvel incendie
Et s’en alla chercher un puissant
Pour lui raconter et le conduire à cet enfant.
Ce fut Jour qui le vit,
Alors qu’il était assoupis
Au creux de quelques racines
Sur un tapis de feuilles brunes presque brûlées.
Il attendit que Fue sorte de son sommeil,
Car une certaine sagesse lui chuchotait
De ne point brusquer son réveil.
Et quand l’enfant ouvrit ses yeux jaunes,
Il ne sursauta pas et s’assit en baillant :
« Qui es-tu, grand ? »
« Je suis Jour, entité primaire,
Régnant sur certaines heures de la Terre.
Et toi, petit enfant,
Possèdes-tu un nom cernant ? »
« Je suis Fue. »
« Juste Fue ?
N’as-tu donc pas un parent ?
Ou un titre particulier
Par lequel, je dois te nommer ? »
« Non. Je suis Fue.
Je ne connais pas de père.
Mère m’a quittée à mon arrivée sur Terre.
Je suis Fue, tout seul. »
« Fue, tout seul.
Très bien, petit être.
Te demandes-tu la raison de ma présence,
Qui loin d’être malhonnête,
Pourrait être, pour toi, surprenante ? »
Fue éclate d’étincelles joyeuses.
« Non, je ne sais pas.
Peut-être es-tu en voyage,
Et tu désires un bavardage ? »
« Non, petit Fue, je ne suis pas réellement en voyage.
Je te cherchais.
Ainsi que ma famille de tous les âges
Te cherche. »
« Moi ? Mais pourquoi ?
Quelle famille peut bien partir
A la recherche du petit Fue ? »
« Te souviens-tu
D’une naissance
Particulièrement extraordinaire
Ayant eu lieu il y a peu de temps
Sur notre Terre ? »
« Aucune dont je me souvienne.
Je ne possède pas la sagesse
D’une montagne ou d’un grand.
La seule que j’ai est celle d’un enfant. »
« L’ont m’a rapporté que de ton corps
Naissait une nouvelle forme,
Qui brûlait et dévorait
Ce qui lui plaisait.
D’une manière qui nous échappe,
Tu crées cette matière imprévisible.
Et vois-tu, nous essayons simplement de comprendre,
De tout notre possible,
Comment. »
« Tu dois parler du feu de Fue.
Je ne sais même pas si je peux répondre.
Après tout, c’est ton monde. »
« Essaie simplement.
Peut-être qu’ensemble
Nous réussirons.
Te rappelles-tu de la première fois
Que ces brûlantes ondes
S’échappèrent de tes doigts ? »
« Je ne me souviens que du mal
Et des cris du bois. »
« Pourquoi ce feu a-t-il surgit ?
Petit Fue, il faudrait que tu me le dises. »
« Je ne sais plus.
Ça n’importe plus. »
Jour soupire mais sourit,
Il lit la bonne foi
De l’enfant qui ne sait véritablement pas.
« Et depuis ? Que se passe-t-il ?
Quelle est l’envie fébrile
Qui te tient lorsque de nouveaux incendies
Frappent d’autres vies ? »
« J’ai juste mal, très mal.
Ou juste peur, très peur.
Ma peau me brûle ;
Il faudrait que je l’ôte.
La seule chose que je sais, c’est que je ne peux le faire seul. »
« Comment ça, petit Fue ?
Ton feu ne brûle pas seul ? »
« Non, il ne peut pas naître qu’avec moi.
C’est sa seule loi.
Souvent ce sont les lignes bruyantes et blanches
Qui le déclenchent.
Parfois l’autour a trop soif,
Ma peau se craquelle comme le sol :
Alors mon feu naît. »
Jour comprends que le pouvoir de l’enfant fou
Devait être accompagné et relatif à d’autres forces.
Il n’était pas la menace imaginée
Mais plutôt dans une place dans laquelle ses excès était favorisés.
Jour se promet de garder un regard tout près
De cette boule de chaleur
Irrésistible de rire,
Insensée de bonheur et d’humeur.
« Petit Fue, accepterais-tu de m’accompagner ?
J’aimerais te présenter ma famille d’entités.
Tu as beaucoup à apprendre d’eux.
Ils ont tant à apprendre de tes yeux.
Viens avec moi,
Je te montrerais nos lois,
Nos noms,
Et ce monde
Dont une partie, tu gouvernes. »
Ainsi Jour emmène Fue dans un coin-ciel,
Dans lequel, bientôt, toutes les entités primaires
Se rejoignent pour découvrir ce bout d’enfant.
Tous sont quelque peu méfiants,
Mais le cachent sous révérences et sourires
Car il ne faut pas réveiller son ire.
Chacun écoute ce que Jour a appris,
Alors que le petit fou, lui,
Sautille dans tous les espaces,
S’émerveillant, criant, riant d’audace,
De surprise et de défi.
Il n’a pas compris
Que le sujet des animées discussions
N’est autre que lui-même et de ses dimensions.
En effet, la crainte est la ponctuation
Des phrases des entités et de leur diction.
Jour veut que ce morceau d’enfance naïve
Ne soit pas puni par quelques injustes offensives.
« Seul, il a erré ;
Loin de tout apprentissage de loi.
Seul, il est né ;
Loin de tout apprentissage de son moi.
Et vous, ma chère famille,
Voudriez punir une innocente âme
Dans laquelle pureté et abondance fourmillent ?
Dans laquelle rires et bonds jamais ne se damnent ?
Voyons, les maux qu’il a infligés
N’étaient ni conscients, ni désirés.
Son pouvoir, s’il peut détruire,
Peut aussi être maîtrisé.
Ainsi, il pourra contrôler son ire. »
« Jour, ta demande est risquée.
Faudrait-il que l’on fasse reposer notre avenir,
Ainsi que celui de notre univers
Sur un espoir faible et taire
Nos frayeurs quant à notre devenir
Si nous devions laisser cet imprévisible être
Vagabonder sur Terre ? »
« Oui, c’est cela même que je désire.
Il ne peut nous nuire
Si nous lui apprenons quelques lois.
Il comprendra alors le poids
De ses possibilités.
Jamais le rire de cet enfant ne se détournera
De ceux qui l’accueillent et lui offrent famille et amis.
De plus, il ne peut être feu de violence rare
Que si d’autres l’aident dans ce but-ci.
Avec lui, nous pouvons continuer à bâtir
Un monde dans lequel quelques incendies
Se déclarent et s’essoufflent.
Mais sûrement pas un monde dans lequel Fue souffre. »
Comme vous le comprenez, Jour se fait défenseur
De Fue, de son vivre et de ses heures.
Les autres, un à un, se laissent convaincre.
Même Dame Fuane et Dame Folre,
Les plus réticentes, se mettent d’accord.
Quelques réserves sont émises,
Mais vite le sujet sera clôt.
Pourtant, une primaire, à l’écart,
N’a pas encore fait entendre sa voix.
Dame Aeu, qui depuis l’arrivée
Du morceau de folie frémissante,
Entend ses cellules hurler,
N’ose articuler ses filets de phrases bruissantes.
Son corps d’eau est terrifié
Par cet enfant bondissant et distrait.
Cependant, au moment où leurs regards se touchent,
Fue agrandit encore plus de bonheur sa bouche
Et arrête sa masse quelques instants.
Dame Aeu lui rend la joie sincèrement,
Et discerne la séparation,
En elle, de ses émotions.
« J’aiderai Jour dans son entreprise.
Seul mon pouvoir a quelque emprise
Sur celui de Fue le petit fou.
Ainsi, tous deux, nous veillerons
A ce qu’aucun coup
Ne soit trop donné à notre monde. »
« Alors, vous serez les garants
De sa vie durant.
Pour commencer, nous lui donnerons les attributs
De l’âge sage et son but.
Comme cela, vous vous chargerez
De tout lui enseigner. »
C’est de cette manière que notre enfant fou
Fut consacré adulte quelque peu flou.
Son rire demeura celui d’un enfant
Et son caractère était peu changé.
Fue le Fou partit ainsi apprendre
Vie, règne et leurs méandres,
Désirant honnêtement et humblement
Devenir sage et mériter entièrement
La confiance et le dévouement
De Jour et de Dame Aeu,
Pour laquelle, il aurait secrètement crever ses deux yeux.
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