Toile à Cape
Il était une fois,
Enfin de nombreuses fois,
Lors de quelques temps anciens,
Certains secrets et certains liens
Qu'il me faudrait vous évoquer
Avant que mémoire ne meure.
Certaines entités vous connaissez,
Leurs caractères en image vous avez.
Ainsi leur complexe humeur
Vous est familière.
Lors de cette ère,
Pendant laquelle les primaires
S'épanouissent et bâtissent,
Encore certains événements
Sont pour vous silence seulement.
Le temps que je m'apprête à vous conter
Est né quelque peu après le triomphe éclatant
D'Embro sur ses parents.
Personne, alors, n'osait moquer Niut,
Laquelle avait perdu un royaume.
Laquelle devait surmonter la vision
De son fils plus puissant qu'elle.
Personne n'osait la moquer,
Pourtant tel affront cuisait sa chair
Et aucun remède de l'âme et de la Terre
Ne soignait ses plaies.
L'ancienne princesse déchue
Se sentait aussi nue
Qu'à ses premiers pas sur le sol
Et colère comme à l'époque
Engorgeait son sang.
Jour était impuissant
Face à la maladie d'orgueil
Dont était frappée sa bien-aimée.
Longtemps il avait cherché
Mais Niut ne pleurait que d'un seul œil
Et de l'autre, créait des nuits épaisses
Que son envers peinait à dissiper.
Leurs deux filles, Ebau et Oraure,
L'aidaient pourtant de toutes leurs forces.
Mais Crépucsule, l'aîné de la fratrie,
Avait apporté son soutien à sa mère.
Ainsi, l'équilibre était malmené.
De moins en moins solide, celui-ci tremblait.
Cela dura, dura, je ne sais combien de temps.
Mais le déroulement retrouva sa justesse ;
De nouveau les jours et nuits, avec sagesse,
S'égrenaient comme avant.
Niut avait retiré ses colères
Du devant des mondes.
Sûrement les avait-elle
Dissimulées dans son propre coin-ciel
A l'abri du regard de tous.
A l'abri du regard de Jour.
Une fois, alors que le royaume de Niut
Possédait les heures et le Temps,
Eut lieu un étrange événement ;
Soudain se mit à briller une lueur
Loin en le ciel,
Loin en la nuit.
Les nocturnes animaux, en premier, la remarquèrent.
Quelques uns tremblèrent.
Mais les chuchotements prédisaient
Que cette lumière ne durerait pas.
Pourtant le lendemain,
Alors que les couleurs s'enténébraient,
La lueur était toujours là,
Plus vive que la veille.
La troisième nuit,
Une deuxième sertissait le ciel.
Les animaux chuchotèrent plus fort
Et la rumeur glissa petit à petit
Jusqu'aux oreilles des diurnes.
Tout le monde veilla nuit après nuit
Pour regarder ces bouts vifs de lumière
Revenir chaque fois plus nombreux.
Sur la Terre, tous les avis fusaient :
Certaines rivières y voyaient les reflets de leurs galets,
Quelques arbres craignaient un avenir funeste pour leur forêts.
D'autres animaux se terraient,
Quand quelques uns priaient.
Lorsque les entités entendirent les chuchotements de la Terre
Ou lorsqu'elles virent par elles-mêmes le ciel,
Elles partirent l'une après l'autre
S'enquérir auprès de Niut.
Qu'elles sont ces étranges lumières ?
D'où proviennent-elles ?
Sont-elles dangereux présage ?
Ou d'amour sont-elles sages ?
Mais elle restait silence.
Refusant aux mots la liberté,
Elle était comme en absence.
A ses côtés, fièrement, se tenait Crépucsule,
Aussi muet que sa mère,
Ayant abandonné ses mesquines lèvres.
Niut soutenait leurs regards
Sans émotion particulière.
Elle refusa l'étreinte et les supplications de son envers.
Elle refusa l'étreinte et les supplications de sa mère.
Ainsi demeura le mystère
Pendant un long temps
De ces morceaux de lumière flamboyants.
Mais remontons quelque peu le temps.
Niut était en coléreux désespoir,
Voulant retrouver son prestige
Qu'elle croyait tomber en oubli.
Elle demanda alors à son fils
De trouver un moyen
Ou tout du moins quelqu'un
Qui pourrait l'aider
A retrouver magnificence et beauté.
Crépucsule, sûr de lui,
Explora Terre, jour et nuit,
A la recherche d'un gardien de trésor
Ou d'un diseur de sorts.
Quelques entités mineures commençaient alors
A peupler ciel et sol.
Vêtu de sa cape de soir,
Il demandait avec espoir
Chemins et détours
A tous ceux qui vivaient autour.
Lorsqu'il arriva au cœur d'un paysage aride,
Voyageant depuis longtemps sans soupir,
La lassitude commençait à le prendre.
Refusant la déception de sa mère,
Il devait pourtant à l'évidence se rendre :
La tâche était ardue
Surtout sur cette terre nue.
Lorsqu'il heurta de son pied las
Une pierre qui roula jusqu'à une fine crevasse.
Elle y tomba, heurtant les parois,
Puis un grognement s'éleva dans l'air.
La cicatrice de la terre
Grommelait quelques échos
Qui intriguèrent Crépucsule aussitôt.
Il se pencha, essayant de glisser un regard.
Très loin, une forme bougeait.
« Un être, absent de ma connaissance,
Vivrait-il sous mes pas ?
Seriez-vous là par choix
Ou par une obligation de puissance ? »
Quelques râles venaient de quelques profondeurs,
Mais il n'eut aucune réponse avant plusieurs heures.
Il s'était assis près de la faille
Et régulièrement assénait sa parole.
Ce fut lorsque son royaume se déploya
Qu'une voix lui envoya
Pêle-mêle des mots.
« Qui ?
Qui ose ?
Déranger.
Déranger repos.
Repos rompu.
Qui ?
Qui ose ?
Ose qui ? »
« Je vous présente mes excuses
Si ma présence sur cette plaine nue
A causé quelques troubles à votre sommeil.
Je me nomme Crépucsule et veille
Sur le soir pour assurer
A ma mère son royaume de nuit tissée.
Elle m'a envoyé chercher un sauveur
Et il y a quelques heures,
Je fus intrigué
Par votre demeure enfoncée
Dans les entrailles de la Terre. »
« Crépucsule.
Crépucsule, hein ?
Prince à mon palier.
Palier trop fin.
Palier trop mince pour Prince.
Crépucsule aimerait.
Aimerait s'installer.
S'installer à ma table ?
A ma table, Crépucsule ? »
« Ce serait avec une grande joie,
Mais il me semble, ma foi,
Que même ma dextérité
Ne me permettra pas
De me glisser
A votre table. »
Mais en silence, le sol s'étire.
La fine cicatrice s'élargit
Jusqu'à laisser voir un escalier
De pierre que Crépucsule va emprunter.
Il suit cette invitation demi-silencieuse
Et s'enfonce dans la roche.
Sous ses pas, il découvre
Un palais immense,
A l'intérieur duquel quelques lumières dansent.
Guidé encore par des bruits de voix
Et de fracas,
Il se dirige à travers des pièces somptueuses
Jusqu'à trouver l'occupant de la faille.
Celui-ci débarrasse avec une certaine agitation
Ce qui était entreposé dans la pièce quand il voit son visiteur.
« Ah, Crépucsule voilà.
Voilà, Crépucsule.
Jamais visiter.
Ici personne visiter.
Excuse.
Excuse ici pas pour Prince.
Ici jamais visiter.
Prince désirer.
Désirer manger.
Désirer banquet ?
Pouvoir banquet.
Banquet si Prince désire. »
Crépucsule accepte la proposition
Et ce n'est qu'après de fabuleux mets s'être repu
En compagnie du maître des lieux
Qu'il se rappelle la mission
Que Niut lui avait confiée.
« Cher hôte, comment dois-je vous nommer ?
Il me semble qu'aucun nom vous m'avez donné. »
« Oh, Prince désire nom.
Nom ici secret.
Secret.
Savoir secret privilège.
Prince digne privilège ?
Digne privilège ?
Prince répéter jamais.
Prince répéter personne.
Nom ici secret.
Nom dehors secret.
Prince digne privilège ?
Prince promettre ? »
« Je serai la plus digne oreille
Pour votre nom et secret.
Octroyez moi votre confiance
Et je vous céderai la mienne.
Ma parole est d'importance.
Alors votre langue peut être sereine
Et me dévoiler
De quelle manière je peux vous interpeller. »
« Bâtisseur.
Bâtisseur. Bâtisseur.
Bâtisseur.
Secret, hein ?
Mémoire Bâtisseur souvient tout.
Tout être dans mémoire Bâtisseur.
Prince promettre.
Prince échange raison.
Raison venue.
Raison chez Bâtisseur. »
« Me voilà honoré Bâtisseur
Et je saurai me souvenir,
Qu'importe les heures,
De ma parole solide.
Quant à la raison de ma venue,
Et bien, il s'agit de Niut.
Niut, ma mère touchée d'un désespoir
Que personne ne parvient à guérir, même son miroir.
Ainsi, elle m'a demandé
D'arpenter sol et ciel
Pour trouver celui ou celle
Qui saura la guérir
De cette mauvaise ire. »
« Reine Niut désespoir ?
Désespoir.
Désespoir.
Mais Reine Niut belle.
Belle.
Belle Reine Niut.
Belle Reine Niut gouverne.
Grand royaume.
Belle et grand royaume.
Pourquoi désespoir. »
« Désespoir car son autre fils
Est celui qui mieux tisse
Les ombres et les gouverne.
Alors que Niut s'était vu confiée
Cette tâche pour laquelle elle est innée.
Elle a perdu confiance,
Prestige et brillance. »
« Prestige et brillance ?
Prestige et brillance ?
Brillance et prestige ?
Bâtisseur pouvoir.
Bâtisseur pouvoir.
Offrir ou échanger.
Mais. Mais.
Niut devoir venir.
Venir et rencontrer.
Rencontrer et discuter.
Discuter et échanger.
Échanger avec Bâtisseur.
Prince aller chercher Reine.
Bâtisseur préparer surprise.
Surprise Reine. »
Sur ces dires, Crépucsule s'envole vers le ciel,
Gonflé de fierté d'avoir trouvé celui qui sauvera sa mère-reine ;
Pressé de lui annoncer et de recevoir les honneurs.
Et quand il lui glisse à l'oreille
Qu'il avait rencontré une personne sans pareille,
Le regard de Niut se fait plus vif.
La curiosité commence à la réveiller.
« Qui est donc ce sauveur ?
Pourquoi jamais pendant mes heures
N'ai-je entendu sa présence ? »
« Ah, Mère, c'est qu'il vit caché de toutes les clairvoyances
Dans une cicatrice de la Terre,
Qu'il dissimule avec une habilité extraordinaire.
A sa demande, je suis venu vous conduire à lui
Car il prépare quelque surprise pour vous et votre nuit. »
« En le sol, il faudrait se rendre ?
La nuit sous la Terre ne peut s'étendre.
Ce que tu me demandes là, fils,
Est difficile entreprise.
Mais je désire t'accorder confiance.
Avant notre départ une question me brûle :
Comment dois-je nommer cet inconnu ? »
« Mère, me voilà honoré
De recevoir votre confiance
Mais je suis contraint au silence
Par une promesse liée.
En aucun cas je puis révéler son nom,
Ce serait fâcheux et sans pardon. »
« Bien , mon fils, me voilà fière,
Que tu tendes à garder ce secret.
Mettons-nous en route sans tarder
Avant qu'impatience me dévore en entier. »
Sous leur cape, tous deux s'en allèrent
Jusqu'aux tréfonds de la Terre.
Crépucsule chuchota quelques mots
A la fine fissure du sol.
Puis ils s'y engouffrèrent.
Alors les murs chuchotèrent.
« Oh. Oh. Voilà Reine et Prince.
Oh. Oh. Voila Prince et Reine.
Rendre visite.
Mais visite pour surprise.
Surprise pour Reine.
Reine triste.
Reine besoin de.
Besoin de.
Besoin de. »
Le Bâtisseur se détache des parois sombres
Et se glisse près de Crépucsule et de Niut.
Il balaye l'espace d'un grand geste
Pour faire apparaître repas de fête.
Les invitant à se joindre à lui,
Car il réglera le problème de la nuit
Une fois que Crépucsule sera nourri et parti.
Niut respecte l'exigence de l'inconnu
Mais une fois son fils absent,
Elle veut son nom.
Elle veut sa proposition.
« Reine impatiente.
Impatiente Reine.
Prince devoir dire que nom secret.
Secret. Secret.
Secret privilège.
Mais Reine digne.
Reine ici.
Alors Reine digne.
Nom est Bâtisseur.
Bâtisseur. Bâtisseur.
Secret.
Personne savoir. »
« Je tiendrai ton nom
Au creux de mon monde.
Au creux de ma gorge
En le ciel et sur le sol.
Personne ne l'apprendra de mes lèvres
Ou de mes fièvres.
Maintenant apprends moi la raison de ma venue. »
« Oui. Oui.
Bâtisseur pouvoir.
Bâtisseur échanger Reine.
Mais échanger.
Échanger surprise.
Avec. Avec.
Sais pas.
Pas encore.
Bâtisseur montrer d'abord.
Montrer à Reine. »
Et là, de sa poche, il extirpe
Un morceau de pierre, sûrement de paroi.
Niut se montre dédaigneuse
Face à ce bout solide.
Comment cela résoudrait-il
Ses problèmes et l'aiderait à retrouver son prestige ?
Mais le Bâtisseur approche le morceau de ses lèvres
Et lui chuchote quelques bribes de rêves.
Soudain la roche s'illumine,
Si fortement que Niut est aveuglée.
Il semblait que le palais entier est maintenant illuminé.
Et si quelqu'un passait sur le sol à ce moment là,
Il aurait été surpris par des jais lumineux s'échappant de la fissure.
Le Bâtisseur riait aux éclats.
« Reine désire.
Reine désire essayer.
Essayer si ça lui sied ?
Si ça lui sied.
Reine accrocher.
Accrocher Toile à cape.
Toile à cape.
Cape absorbe ébloui.
Mais pas lueur. »
Niut pose la pierre contre sa cape de nuit.
Alors la lumière se résorbe.
Elle brille toujours
Mais n'aveugle plus.
Et cela conquit Niut.
Engorgée de beauté,
Elle relève le menton avec fierté.
Sertie ainsi qui oserait la défier ?
Qui oserait la moquer ?
« Bâtisseur voilà une chose merveilleuse.
Je n'ai jamais rêvé de mieux.
Me voilà comblée
Et emplie de reconnaissance à ton égard.
Alors parle,
Que veux-tu en échange de ce présent inespéré ? »
« Contre des Toiles.
Des Toiles.
Des Toiles plaire à Reine.
Plaire à Reine.
Bâtisseur heureux.
Bâtisseur heureux.
Bâtisseur pouvoir construire plus.
Plus et encore.
Échange visites.
Une Toile. Une visite.
Reine visite.
Reine des Toiles. »
C'est ainsi qu'ils conclurent un marché:
Niut devait rendre visite au Bâtisseur,
En échange, il lui confectionnait une Toile
Qu'elle pouvait ensuite accrocher à sa nuit.
Je tairais les événements
Se déroulant sous Terre pour l'instant.
Car de trop nombreuses fois
Niut a fui le ciel pour s'y rendre.
Sans qu'aucun ne le sache
Sauf Crépucsule qui gardait déjà trop de secrets.
Niut resplendissait de nouveau
Avec ses mystérieux éclats.
Mais Jour se languissait de sa bien-aimée,
Qui jouait tantôt aux absentes,
Tantôt aux distantes.
Il se mit en esprit
D'un jour découvrir
Ce que son envers dissimulait.
Mais cela est un autre sujet.
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