Autobiographie d’un survivant: être noir et allemand
Theodor Michael Wonja est l’un des derniers témoins d’une histoire particulière. Né en Allemagne en 1925, il grandira sous la répression nazie, endurera la guerre dans les camps de travaux forcés, vivra de l’intérieur la destruction et la division de son pays. Une différence restera fondamentale dans le cheminement de sa vie : fruit d’un amour camerounais et allemand, Theodor Michael Wonja est métisse et Allemand, un mélange inédit dans une Europe encore colonialiste.
Une identité décomposée
Cet itinéraire si particulier est le reflet de l’Histoire qui lie le continent africain à celui de l’Europe. Avant de perdre la 1e Guerre Mondiale, l’Allemagne s’inscrivait dans la logique colonialiste du vieux continent et instaurait au Cameroun un protectorat dès 1884. Les Allemands mettaient à disposition des ressortissants des colonies des papiers leur permettant de s’installer sur le territoire allemand. C’est de cette manière que la présence du père de Theodor, Théophilius Michael Wonja, est estimée à 1903 en Allemagne.
Les allemands ne laissaient que peu d’alternatives professionnelles aux personnes de couleurs. C’est au sein des expositions universelles ou sur les plateaux de cinéma muet que Theodor et sa famille ont pu trouver des ressources financières. Ce récit de l’enfance de Theodor, jouant le « sauvage » des contrées éloignées en jupe de raphia, fait apparaître une certaine dualité. On a d’un côté son point de vue d’enfant, travaillant avec sa famille à réaliser une tâche ingrate, et de l’autre les regards d’interrogations, voire de stupeur, portés sur eux. On peut sentir que la population allemande est loin de s’imaginer que ces personnes exposées étaient en réalité leurs compatriotes.
Cette exclusion prendra une forme bien plus radicale au cours de la vie de Theodor. La victoire du parti national-socialiste entraînera son exclusion de l’école et plus tard, sa déchéance de nationalité. Dans la préface de l’ouvrage, Charles Onana souligne la méconnaissance des politiques de Hitler mis en place contre « les bâtards de la Rhénanie », « la honte noire », plus précisément les populations africaines et métissées d’Allemagne. Expérimentant pendant la guerre la vie en camps de travaux forcés, Theodor Michael Wonja n’a échappé que de peu aux campagnes de stérilisations menées de force sur les ressortissants africains et allemands métissés.
Miraculé, Theodor survit aux camps, à la guerre, à la menace intérieure, et se démène pour vivre de théâtre, de cinéma, de journalisme. Une survie qui lui sera presque reprochée après la guerre, tant la probabilité de survie pour un allemand noir était faible et inespérée : les autorités d’après-guerre interpréteront cette chance comme de la collaboration. Si ses pérégrinations ont été ponctuées de multiples drames personnels, Theodor Michael Wonja trouvera le bonheur par son mariage et le soutien de sa femme Elfriede Franke, ainsi que la venue de ses propres enfants. Sa carrière professionnelle prendra un tournant radical mais tardif : recruté par les services de renseignements, il deviendra Conseiller d’Etat spécialiste de l’Afrique.
« Theodor Michael représente le sort de centaines de personnes persécutées et stérilisées, parquées comme du bétail ou tout simplement liquidées »
Rare témoin d’une mémoire oubliée, Theodor Michael Wonja nous permet de découvrir par cette autobiographie un autre point de vue de l’Histoire. Son destin tragique met en lumière l’une des plus profondes injustices sociales menées en Europe où les personnes noires, symboliquement diabolisées dans les productions culturelles de l’époque, n’ont pas leur place au sein de la société. L’expérience de Theodor liée à la culture n’est qu’un rappel de la pratique tristement célèbre du black facing. Sur les plateaux de cinéma, il était d’usage de peindre le visage et le corps d’une personne blanche pour faire jouer la caricature d’une personne noire ou pour tout simplement ne pas recruter de personne noire. Une manière en plus d’exclure les communautés et de renforcer les stéréotypes racistes dans l’imaginaire commun : pour résumer, exhiber les Noirs pour amuser les Blancs.
Loin de se considérer comme un “rescapé des camps nazis”, comme le traduit à tort l’éditeur français, Theodor Michael se pense davantage comme une victime des lois raciales d’Allemagne. C’est d’ailleurs un des éléments qui fait la particularité de cette autobiographie : c’est avec assurance que Theodor Michael affirme que si sa couleur de peau n’avait pas été un facteur de discrimination et d’exclusion, l’endoctrinement nazi aurait été aussi effectif que sur les autres jeunes de son âge.
Ce récit ne fait pas que décrire une situation personnelle et affreusement particulière, il englobe l’environnement dans lequel Theodor a dû évoluer.
Il faudrait consacrer un article entier sur sa rencontre avec les Afro-Américains à Berlin, se battant pour la liberté en Europe quand eux-mêmes ne pouvaient pas jouir des mêmes droits dans leurs pays. Il faudrait en consacrer un autre sur les enfants d’Europe nés comme lui de mélanges de cultures et d’horizons dans des périodes défavorables à ces combinaisons. Un autre article encore sur la condition des femmes de l’époque en se basant sur le récit de la libération du camp de travaux forcés, où les soldats se sont livrés à des viols de masse des jours durant.
En somme, un ouvrage dense, parfois indigeste, à effets Boîte de Pandore, dont les maux se sont déjà abattus sans que l’on réalise véritablement les répercussions.
Photos :
“Metropolis Berlin” de Matthias Ripp
“Mask” de Christopher Chappelear
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