Autoportrait à la bouteille
Pour son grand retour, Marlon l’Enchanteur se dévoile sous son plus beau (ou son plus mauvais) jour, vous offrant ainsi un authentique et sincère autoportrait de l’alcoolisme.
Boire m’érotise. En moi-même comme à l’extérieur. Lorsque je bois, je me sens plus beau, je gagne en confiance, et cela se ressent. Immédiatement je deviens attirant, je séduis tout de suite beaucoup plus facilement. Non pas que sobre je sois moins beau (si l’on peut objectiver qu’une forme de beauté se dégage de moi), mais j’ai, cela est sûr, un charisme moins fort. Pourtant je pense en avoir une ressource déjà assez grande lorsque je n’ai pas bu. J’aime les bars. Leur ambiance. Leur chaleur. Leurs boissons. Surtout si elles sont alcoolisées. Ce sont des lieux intermédiaires, lieux de rencontres, de début d’histoires d’amour, de rire, de joie, de débauche, de perdition. Se perdre dans l’alcool. Un jour je me suis perdu sur une plage en pleine nuit. Était-ce le jour ou la nuit ? Je ne sais plus, j’avais bu. J’aime boire. Je n’aime pas les gens qui boivent. Surtout lorsque je n’ai pas bu. Je ne m’en étais pas rendu compte jusqu’à maintenant. Mais maintenant je m’en rends compte. Depuis que je suis de l’autre côté du bar. C’est une barrière physique mais aussi psychologique. Je ne suis pas le client, je suis le commerçant. Je ne suis pas celui qui boit mais celui qui sert à boire. Je ne suis pas celui qui est alcoolisé. Je suis celui qui est sobre. C’est une étrange sensation. Comme si j’étais dans un univers parallèle. Un univers ancré dans la réalité la plus simple : travailler pour gagner de l’argent. Remplacez gagner de l’argent par vivre, cela revient au même. Tandis que les autres, ceux du second univers, plongent à gorges ouvertes vers un monde liquide, aquatique, alcoolique. J’aime boire le soir, en terrasse, une cigarette au bec. Cela me permet d’évacuer les tensions accumulées au cours de la journée. Et de penser. Jusqu’à ce que la brume enivrante de l’alcool grise mon cerveau et l’empêche de penser. Penser. À rien. J’aime cette idée d’un petit rien qu’apporte l’alcool. Plus d’alcool, moins de pensées. Corps et cœur libérés. J’aime la bière. Mais je lui préfère le whisky. J’aime aussi le vin, lorsqu’il est blanc, mais je lui préfère la bière. Le whisky me rappelle des forêts millénaires que je n’ai jamais vu mais que je rêve de découvrir. Un chalet au plus profond de la forêt enneigée. A l’intérieur de celui-ci, un fauteuil près d’une cheminée allumée, et une table. Sur cette table, un verre de whisky, fumé, et un livre. Livre de Bukowski ou Rabelais, des camarades qui eux aussi aimaient la bouteille. Ou le verre. Dépend du contenu. Je préfère boire dans un verre qu’à la bouteille. Un verre sans paille. Et sans glaçon. Ne surtout pas dénaturer le goût si unique que possède chaque alcool. Ne surtout pas boire trop vite. Je tombe souvent. La semaine dernière je suis tombé. Je montais les pentes de la Croix-Rousse, avec des amis. Nous avions bu. Soudain je suis tombé. Une vraie chute. Je me suis retrouvé par terre, les quatre fers en l’air. J’en ai encore mal. J’ai un bleu sur la fesse gauche. Il ne se voit pas, ma carnation l’empêche de se dévoiler dans toute sa polychromie. Mais je le sens, lorsque je m’assieds, lorsque je marche, lorsque je danse. Il est comme un rappel, un rappel des ravages de l’alcool. D’ailleurs, j’adore danser lorsque j’ai bu. Danser, ou me trémousser, je ne sais pas vraiment, je ne me vois pas danser. En tout cas j’aime bouger mon corps plus ou moins en rythme avec la musique. Évacuer toutes mes énergies, sentir mon rythme cardiaque accélérer, ma respiration se hacher. J’aime danser lorsque j’ai bu. Beaucoup moins lorsque ce n’est pas le cas. J’aime surtout danser lorsque toutes les personnes autour de moi ont, elles aussi, consommer de l’alcool. Il flotte alors une forme de désinhibition. On danse, on se touche, des regards se croisent, des mots s’échangent, les corps se rapprochent. Création d’une alchimie, parfois pour une nuit, parfois pour plus longtemps. Echange des corps, échange des cœurs, amour, amitié, détestation, des liens étroits se forment entre nous lorsque nous dansons et buvons. L’alcool est un tissu social. Mon tissu social. Je ne bois jamais avant de me faire tatouer. Je bois toujours après m’être fait tatouer. J’aime cette sensation de l’alcool qui refroidit mon corps et calme la chaleur de ma peau fraîchement encrée. Souvent, lorsque je suis bourré dans le métro je sors un livre. Non pas que je sois capable de lire, ma vue étant brouillée à la fois par l’alcool et par l’absence de mes lunettes, mais cela me donne une crédibilité. Faire croire que je suis aussi sobre que les personnes qui se sont levées à l’aube pour aller travailler. Une fois un mec assis dans le métro m’a fait remarquer que je tenais mon livre à l’envers. J’étais noir de honte. Je dis noir parce qu’encore une fois ma carnation ne me permet pas de faire ressortir d’autres couleurs. Le corps est constitué d’environ soixante pour-cent d’eau, le saviez-vous ? Je pense que dans mon cas, ce pourcentage doit être recalculé. Un tiers de bière, surtout de la Lupulus, dont j’apprécie tant le goût amer, un second tiers de whisky, parfois mélangé à du Coca, mais pas toujours, et enfin un troisième tiers d’alcools divers ingurgités en soirée lorsque mes premiers choix sont épuisés. On peut compter dans ce dernier tiers, de la vodka, du rhum et du vin. Un peu d’eau aussi. Enfin je l’espère. Car il est important de boire de l’eau. J’en bois parfois. Lorsque je n’ai pas d’alcool sous la main.
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