Ballade désertique, « Et maintenant on va où ? »
Dans un village supposé au Liban, isolé au fin fond du désert, une communauté scindée vit en harmonie : l’islam et le christianisme se côtoient dans les rues, dans le seul café du village, au cimetière.
Le film débute sur une trentaine de femmes marchant à l’unisson dans le désert, avançant d’un pas lent vers des tombes à fleurir. Différentes silhouettes se dessinent malgré les habits noirs : mères et veuves, sœurs accablées ou grands-mères désillusionnées, chacune portant la triste beauté d’une femme endeuillée.
Les familles tentent de digérer le deuil d’une ou de plusieurs personnes tuées dans des guerres religieuses du passé. Les femmes sont présentées comme les premières victimes de ces guerres car celles-ci sont pérennisées par les hommes, et le destin tragique des demoiselles serait de se retrouver seules à pleurer. Chaque villageois a un rôle actif dans la communauté, même si Nadine Labaki, réalisatrice du film, s’est appropriée le rôle central d’Amal, la très belle gérante du café, veuve, chrétienne et éprise d’un musulman.
L’infatigable folie des hommes
Le pays replonge en guerre, et malgré son isolement et l’absence de violence dans la communauté, le village s’en trouve impacté. La tension monte avec des provocations dans les deux « camps » : animaux de la ferme dans la Mosquée, sang dans l’eau du baptême…
Les hommes ne font preuve d’aucune logique ni de raison. La haine de la différence, et dans ce cas-là, la haine de l’autre religion, est motrice de leurs actions en dépit de tous liens amicaux ou de sympathie quotidienne de village… Seules les femmes semblent être dotées de rationalité basique, voire de bienveillance à l’égard des autres habitants. Bien sûr, certains font exception : comme le maire, l’imam et le prêtre, trois vieillards hilarants qui font en sorte d’épaissir grossièrement la culpabilité de leurs adeptes.
« Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux, nous vous invitons à une réunion consultative à propos des conneries que vous êtes en train de faire et dont nous ne voulons pas. À tous les enfants dans le Christ, votre présence est obligatoire ! Lavons les consciences et les cœurs des peines que vous vous êtes infligés. Peut-être que nos invitées diront du bien de nous […], alors que vous nous avez humiliés et traînés dans la boue ! Ayez honte à la fin ! Votre présence est obligatoire ! Obligatoire ! »
Tout semble conduire à un nouveau conflit, à un nouveau lot de morts. L’unique différence : les femmes ne seront plus victimes de la folie, et refusent de verser une larme de plus !
La touche d’humour brisant un drame omniprésent
Et maintenant on va où ? semble être à première vue un film qui restera bien lourd sur le moral, rempli d’un deuil accompagné de son lot de pleurs et de lamentations… Pourtant le drame s’oublie peu à peu et s’apparente plus à une comédie musicale rythmée par des dialogues inattendus : « Mon cul c’est un dictionnaire, tu veux le lire et te cultiver ? »
La volonté des femmes ne recule devant rien pour recréer des liens solides au village. Elles provoquent des faux miracles, des scènes de ménage, conspirent pour droguer les hommes lors d’une réunion commune, et organisent l’arrivée d’une soi-disant troupe de prétendus gymnastes russes…Tout cela avec l’aide des autorités religieuses, symbole de paix du village, qui se questionnent tour à tour sur le devenir de leur foi.
« Sois généreuse, force sur le mélange ! Choisis la meilleure came, rajoutes-en, n’aie pas peur, il est le haschisch de mon cœur ! »
Et maintenant on va où ? est une espèce de huis clos désertique, qui finit mal peut-être, mais qui laisse un souvenir touchant.
Ce film, incroyablement féministe, traite du sujet de la mort d’une manière détournée. Certes, celle-ci est omniprésente de par l’absence des êtres aimés des personnages, et de la douleur qu’évoque leur souvenir, mais Nadine Labaki nous présente des personnages qui luttent pour la vie après le trauma d’un décès. Les femmes abandonnent progressivement leurs valeurs, leurs morales et enfin leurs religions, mais ne se délaissent jamais de leur humour et de leur répartie cinglante. En somme, c’est une description peut-être plus juste d’une réalité, ce qui évite de tomber dans un pathos facile et désabusé.
Basquiat à la Fondation Vuitton: la visite enchantée
La complainte du marin moderne : la poésie comme dessein