De Dame à Forme
Il était une fois dans ce monde
D’âmes naissantes et vagabondes
Dont vous connaissez déjà quelques histoires,
Des êtres en miroir.
Certains vêtus des soies tissées des vies
Dont ils étaient responsables et sertis.
D’autres habillés des voix plissés des vents,
Des marées et des levants.
En ce jour, un de ces êtres m’est revenu en mémoire.
Une des entités, une des dames originelles
Sans laquelle, vous et moi seriez voués au désespoir.
Alors laissez-moi vous conter cette nouvelle.
Dame Folre, car il est bien question d’elle,
Dont le nom a cette difficulté pour le muscle langagier,
Mais dont le « O » s’envole en volte de beauté,
Est surnommée Dame Forme.
Au sein de sa fratrie, elle a une place
De solitaire, tout à la fois de générosité
Dans les temps et les espaces.
Son caractère la veut en solitude,
Mais son essence demande quelques sollicitudes.
Car malgré la constitution de son esprit,
L’échange, pour elle, reste primordial.
Sans ses sœurs Iar et Aeu,
Elle pouvait exister mais pas enfanter.
Fuane dépendait quant à elle de l’abondance de Folre.
Ainsi les quatre dames
S’articulaient les unes autour des autres
Dans les sens et contre-sens des vies.
Aujourd’hui, j’aimerais remonter le temps avec vous
Jusqu’aux prémices des sœurs.
A l’heure où la Terre avait une nudité
Dont elle rougissait facilement.
Lune et Soliel habillaient le ciel
Et Jour n’était pas encore en naissance.
Iar possédait déjà l’air, le vent et son essence.
Alors qu’Aeu s’écoulait dans les fissures du sol
Et dévorait les roches.
Fuane vagabondait dans les étendues
Trop hésitante à enfanter si tôt sur cette surface trop nue.
Et notre quatrième entité, elle, ne savait quelle direction prendre.
Ces vastes champs en devenir n’étaient pour l’instant que sable tendre,
Minéraux, irrégularités du sol,
Et terre meuble, riche et féconde.
Dame Forme ne savait par où commencer à faire le monde.
Sur ses minces épaules se reposait un devoir
Qui de loin la dépassait,
Parfois même l’enjambait.
Lune et Soliel l’avaient poussée au bord de la Terre
Avec des yeux bienveillants et pleins d’attente.
Folre voyait Iar et Aeu s’affairer entre les discordes et les ententes.
Et Fuane trépigner, impatiente.
Alors que faire ? Que revêtir ?
Comment pouvait-elle sentir
Et vêtir le sol
Sans lui faire aucun tort ?
Pendant un long temps,
Elle se retrouva sans forme fixe.
Passant d’une à une autre, souvent,
Trop souvent pour que naisse d’elle une seule vie.
Tantôt un brouillard touffu et gigotant.
Tantôt une brume nue absente.
Prise d’une solitude, imagée
Seulement par Iar et Aeu,
Folre se laissait aller
Dans une langueur peureuse.
Sa jeunesse et inexpérience l’effrayait.
Parfois, elle se chuchotait un secret ;
Car sa plus grande crainte ressemblait à l’échec
Mais était plus profonde,
Plus tissée dans les caractères de ses sœurs.
Elle refusait la prétention,
L’ego et sa pression.
Car orgueil, pour elle, était poison.
Elle redoutait l’ambition,
Ses chutes et ses abrupts monts.
Et pendant ces jours, où elle vivait les doutes sombres,
Dame Folre aurait aimé se réfugier en le sein de quelque figure.
Figure maternelle, elle le devinait.
Mais les quatre Dames, précipitées dans le monde,
Étaient dépourvues de mère, de père et de leur ombre.
Et même si Lune et Soliel dégageaient cette aura de sagesse,
Dame Forme ne possédait, pour les invoquer, pas assez de hardiesse.
Pourtant, il y eut ce jour, lors duquel, amère de ses propres larmes,
Prise de colère pour la première fois contre son âme,
Elle s’envola, supplier Soliel d’une audience.
Croyant qu’elle se heurterait à l’entité-astre et son silence,
Sa surprise fut telle que les mots dégringolèrent d’elle
Jusque dans le ciel.
A son tour, Soliel fut étonné.
Car cette jeune entité
Était plus connue pour sa timidité
Que pour cette avalanche grimpante
De phrases et de sanglots battants.
Alors, il rit.
Oui, Soliel, devant Folre, rit
A rayons déployés.
Ce vacarme de lumière et de chaleur
Fait taire Forme et ses pleurs.
Sa confusion la rend d’embarras pâle
Mais efface un instant son mal.
« Iar t’assure un souffle éternel,
Alors jeune Dame, reprends le tien
Et énonce-moi ce qui t’amène dans mon ciel,
En son sein, en le mien et d’une manière en le tien. »
Et notre Dame, alors, choisissant cette fois-ci ses mots avec une précaution minutieuse,
Exposa les raisons de sa venue non prévue et de ses retards à enfanter.
Ainsi que le poids que représentaient pour elle ses pensées et difficultés.
Lui manquaient, disait Folre, mère et père
Ou quelque sorte de repère.
En effet, on lui demandait de créer,
Mais que créer ? De quel genre de rôle l’avait-on assigné ?
C’est perdue et l’ayant comme seul et dernier recours
Qu’elle s’était rendue près de lui pour quémander un quelconque secours.
Et l’astre avait souri de tendresse :
« Je suis venu, comme toi,
Sans famille, ni repère.
J’ai dû construire mon propre toit,
Mes propres repères.
Et vois-tu, jeune entité,
Ma place te paraît sûrement
Aisée à dessiner,
Mais il m’a pourtant fallu un temps
Avant de m’accrocher au ciel et de briller.
Cette liberté que nous, entités primaires, possédons
A deux chemins à suivre, deux façons.
Soit ta liberté sera ton fardeau et ta malédiction,
Soit elle sera ta puissante éclosion.
Les permissions de tes descendants
Seront moins lourdes
Car jamais tu ne seras sourde
A leurs requêtes et sentiments. »
La tension dans l’esprit de la jeune Dame
Avait diminué devant la confiance
Et sérénité que dégageait Soliel.
Oui, certes, il ne lui avait porté que de vagues réponses.
Il ne lui avait pas donné ce qu’elle désirait entendre,
Mais plus tard, elle aura conscience
Que les paroles de l’astre pensant
Étaient celles qu’elle avait eues besoin d’écouter.
Et de retour sur le ferme,
Folre rougit devant la nudité de la Terre, pour la première fois.
Devant ses yeux purs,
Ne s’étendaient plus aucun murs.
Seulement un terreau
Et une maîtresse vêtue d’air et d’eau.
Et aucun paysage ne ravissait autant l’entité.
Alors, elle condensa sa forme mouvante
De toutes ses forces présentes.
Elle concentra encore et encore
Son essence et son corps, encore.
Jusqu’à paraître si petite
Que personne n’aurait pu se douter du pouvoir que renfermait ce minuscule grain.
Enfin, pas vraiment petit grain,
Mais petite graine d’abord
Pour féconder Terre et ses rebords.
Ainsi, elle demanda à sa sœur, Iar,
De l’aider, de lui prêter du vent.
Et Forme, petite graine, s’envola
Pour s’enfouir dans la terre-amante.
D’elles deux, naquit l’herbe,
Qui éclosant par gerbe
Effaçait les couleurs monotones
Pour les remplacer par des verts aux teintes multiples.
Car Forme, au fur à mesure que les brins naissaient,
Prenaient confiance et égayait ses palettes de couleur.
Soliel, du haut du ciel,
Acquiesçait lentement tout en sourire
Devant ces taches et colonnes vertes
Qui explosaient et se répondaient.
Contentement et fierté le possédaient.
Le monde se transformait pour la vie.
Et en bas, les quatre sœurs travaillaient, unies,
Pour inspirer d’amples étendues de lits,
De champs, et il le devinait au fond de lui,
De forêts et d’autres paysages encore inconnus à son esprit.
Notre Dame Folre, aidée par Iar pour son transport,
Voyageait si vite de brins d’herbe en brins de terre.
Mais en graine, le travail était trop fastidieux
Et la Terre réclamait plus et mieux.
Alors, il fallait se réduire encore.
Se distiller pour chaque pistil,
En ramassant sa courageuse énergie
Pour diminuer son apparence.
Elle fut germe et spore,
Et pollinisa le reste du monde.
Intensément, elle dessina pétales et tiges
Pour fleurir et parfumer l’environ.
Et de sa ferveur s’épanouissaient
Délicieuses, piquantes, élégantes,
Mais surtout liberté.
Car à mesure que Folre créait,
Naissaient de plus en plus vite les plantes.
Vous ne reconnaîtriez plus notre jeune entité.
Oubliez sa pudeur et timidité.
Oubliez son apparence renfermée
Et imaginez une euphorique et minuscule Dame
Qui dans les vents et bourrasques
Donnait des naissances bourgeonnantes.
Imaginez une euphorique et minuscule Dame,
Qui dans les vents et bourrasques,
Donnait son rire étourdissant et aimant.
Puis s’éveillèrent les arbres majestueux,
Étirant leurs branches, heureux
De la caresse de Soliel.
Fiers de traduire le vent à travers leurs feuilles.
Reconnaissants des rosées et pluies d’Aeu.
Parfois pleureurs d’un souvenir de mélancolie,
Enfouis dans leur écorce
Et oubliés par mégarde par Forme.
Et tour à tour, celle-ci fut graine, spore, germe.
Puis elle devint une idée,
Presque une pensée.
Mais toujours, elle fut amour.
Car son règne devait atteindre une finesse complexe,
Une multiplicité telle qu’on ne pouvait ni tous les compter,
Ni tous les toucher.
Mousse, liane, lierre,
Cyprès, bouton en or, hêtre,
Nénuphars, algues, plantes vivaces
Et herbes qu’il faut aujourd’hui qualifier.
La flore était alors née,
Et le règne du végétal avait une puissance innée.
Dame Forme, épuisée mais contentée,
Ne pouvait plus se contenir sous ces petites formes.
Cela lui demandait trop d’efforts.
Elle sentait la vigueur de sa jeunesse lui échapper.
Comme si pendant son temps de création,
Elle avait tout dilapidé.
Et son paraître n’arrivait plus à se fixer.
Comme en tension,
Elle passait d’une image à une autre.
De nouveau, sans réussir à prendre de décision.
Et de nouveau, ce fut quelqu’un d’autre
Qui la poussa dans une direction.
Cette personne était elle aussi une sorte d’entité,
Dont le manteau était tissé des mystères,
Et qui avait quatre mères.
Mais ces dernières ignoraient alors son existence
Et Dame Folre fut la première à voir sa présence.
Figurez-vous, qu’à un moment unique,
Les énergies des quatre dames vers le même point ont afflué
Et que cet instant symbolise la résolution des quatre de s’allier.
Que cet instant d’une poignée de secondes
Bouleversa le monde.
Car de leur force était né un fils.
Mais imaginez-vous, l’eau, l’air, l’animal et le végétal unis,
Car même lui n’arrivait à concevoir son image.
Comme une fumée difforme et diffuse,
Une chair sans forme et recluse.
Le plus simple pour lui fut de s’unir à une enveloppe
Solide et statique,
Qui contiendrait toutes ses vrilles et ses vigueurs.
Alors, il se glissa dans un amas de roche,
Le plus grand et le plus proche.
Il solidifia cet amoncellement pour qu’ils ne fassent plus qu’un.
Ainsi la première montagne était née.
Petite d’abord, elle grandira au gré des années,
Sous la protection de ce fils, nommé Arocle.
Dont il faudra que je vous conte mieux l’histoire,
Un prochain soir.
Une de ses mères, donc, Dame Folre,
Visitait le monde pour enseigner quelques paroles encore,
Quand elle aperçut ce roc surgissant de terre.
Curieuse, elle s’approcha.
Et demanda quel être habitait cela.
Une voix grave et déjà pleine de sagesse s’éleva :
« Ainsi, vous voilà, Mère.
Vous, la première.
Vous à ma rencontre
Et pleine de questions à mon encontre. »
Quelle surprise se fut pour elle.
Elle, mère d’une montagne ?
Ils parlèrent tous deux longuement
Sans interruption de temps.
De telle façon que Forme apprit tout de lui.
Mais ne soyez pas trop curieux,
Vous apprendrez à votre tour, ce qui le touchait.
Sachez seulement que le pouvoir immense
Dont il avait hérité
Était unique en son genre.
En effet, Arocle avait la clairvoyance des temps,
Des heures passées, présentes et futures.
Rien n’avait de secret pour cette jeune entité.
Et il était doté de la magie des présages
De tous les Ages.
Et une vision l’attristait,
Toute son âme était peine depuis
Car il avait vu des ténèbres pour cette mère.
Il devait libérer ce secret
Mais son service devait coûter.
« Mère Forme, aujourd’hui sera marqué comme temps funeste.
Vous avez marché innocemment en mon temple modeste.
Je vous attendais avec patience
Car est l’heure du présage et de la révélation.
Malédiction est ma science
Car j’ai vu de terribles conclusions.
Je voudrais pourtant que vous m’offriez une chose contre ma parole.
Sous peu, mes cimes atteindront des hauteurs folles.
Et vos petits ne survivront pas contre ma rocaille,
Alors j’aimerais de quoi égayer mes murailles. »
Folre accepta le marché,
Alors que son sang s’était glacé
Devant les mots graves et lourds de son fils.
« Mère, je vous sens si fatiguée.
Mais vos forces, vous devez conserver.
Trouvez un moyen, n’importe lequel,
Car tous, oui tous vos enfants
Courent un péril si grand.
Dans un temps non fixé
Naîtront d’étranges vivants
Qui amicaux d’abord
S’empresseront de détruire les corps.
Ils piétineront, arracheront,
Brûleront, couperont, déracineront
Toute la nature faite.
Alors vous devez attendre ce temps
Et protégez vos enfants.
Ils auront besoin de vos pouvoirs, de vos mots et magies.
Nous aurons besoin de vos pouvoirs, de vos mots et magies. »
L’horreur s’empara de l’entité primaire.
Terreur et colère nouvelles la serrent.
Si fort, qu’elle s’étouffe.
N’a plus de mots en bouche.
Mais l’hésitation n’existe pas.
Elle sait, comme une mère, où aller de ce pas.
A Arocle, elle offre pureté et amour combinés à force et résistance
Entre quelques pétales blanches.
L’edelweiss était né
Et Arocle prit toujours soin de cette étoile des glaciers.
Quant à elle, Dame Folre, elle plongea dans la terre.
Usant ses restantes magies,
Elle devint l’arbre sans nom
Qui surplombait le monde.
Le tronc si large, si haut
Dont la ramure s’étendait ainsi que les racines sur des kilomètres.
Et dans le sol, un autre arbre, comme en miroir, se ramifiait.
Car qu’un seul arbre, elle ne pouvait être.
Les racines de l’un s’emmêlaient dans celles de l’autre.
Et autour, contre, sur le tronc de l’autre.
Ces jumeaux majestueux inspiraient respect,
Tant son aura irradiait de paix.
Et c’est là, au sein d’une forêt sombre, qu’elle épousa le sommeil,
Ramassant ses énergies pour le jour de son réveil.
Le jour où Folre donnera forme à sa voix, à son halo,
Pour en nimber ses enfants quand le danger frappera, sûrement trop tôt.
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