Etoffes
Il était une fois,
Il y a bien longtemps de cela,
Des constructeurs et des vivants
Se remplissant du temps.
Pour cette fois-là,
J’aimerais que vous rencontriez
Les naissances rythmées
De quatre bouts de lois.
Le temps où la première eut lieu
Se complaît dans le flou, mais c’est un temps vieux.
Vieux et pourtant gravé
Sous les pavés
Et dans les rides d’une Terre
De plus en plus pleine du sol jusqu’à l’éther.
Allez, venez, dépêchons-nous,
Le premier est proche de la première respiration.
Est bienvenu celui pour qui la sensation
Est émerveillement.
Allez, venez, maintenant.
Je vous raconterai ce que vous devez savoir
Avant d’arriver et d’enfin voir.
Vous connaissez le noble Jour,
Fils de Soliel et roi du diurne amour.
Vous connaissez la sulfureuse Niut,
Fille de Lune et reine de la nuit nue.
Aujourd’hui est la venue au monde
De leur premier demi-frère
Né de la passion de Lune et Soliel
Et de leur âme vagabonde.
Ainsi l’expression des deux
Se retrouvera dans les yeux
De leur fils, aimé avant même sa naissance,
Avant même ses renaissances.
Il dirigera une partie du Temps
Car ses parents
En sont les entités primaires.
Alors il donnera à la Terre,
La chaleur de son père,
La caresse de sa mère,
L’abondance et l’ivresse,
L’ardeur et la tendresse
Des deux astres.
Cela fera de lui un esprit vaste,
Un travailleur sage,
Donnant et recevant de tous.
Jour et Niut lui apprendront les heures,
A façonner avec père et mère sans peur,
A écouter et embrasser les quatre Sœurs.
Car sa tâche est d’une ampleur
Qui pourrait en effrayer plus d’un
Mais, lui, naît avec un pouvoir malin.
Voilà qui sera Aithêr.
Vous l’apercevez maintenant cette boule de chaud
Contre le sein de Lune ?
D’une cape il sera vêtu bientôt,
Pleine de ses futurs noms et runes.
Une des plus grandes douleurs de Lune et Soliel
Était de ne pouvoir descendre sur Terre.
Ils se languissaient du haut de leur palais
De ne pouvoir toucher et embrasser
Les sols et océans aimés.
Ils cherchèrent, demandèrent,
Prêts à supplier et à récompenser.
Car leurs formes et puissances
Auraient fait disparaître toute forme et tout vivant.
Alors les Quatre Dames leur firent un présent ;
Chacune découpa un morceau d’étoffe
De leur cape pour confectionner
Deux autres capes qui devraient leur permettre
D’enfin explorer et de s’engorger
Des paysages et des existants.
En échange, elles demandèrent
A ce que soit achevé le Temps linéaire.
« Nous sommes des cycles,
Des cycles et des mouvements,
Des mouvements et des vivants.
Notre besoin est le multiple. »
Ainsi, ils mirent en sécurité
Leur habit et se vêtirent du présent des Sœurs.
Jamais ils ne volèrent aussi vite vers un lieu.
Jamais ils ne partirent aussi vite des cieux.
Leur voyage ne pouvait durer que quelques heures
Alors les deux entités étaient aussi impatientes que pressées.
De leur propre peau, ils désiraient connaître les enfants des Dames.
Brûlants de découvrir par leur âme
Et les couleurs et les odeurs.
De savoir par leurs yeux
Et les fluctuations et les heures.
Tout deux vivaient avec une grande excitation
Les infinis détails de toute création,
Qu’ils ne connaissaient que par la hauteur.
Cette première visite des deux primaires
A marqué les habitants de la Terre.
Ceux qui n’eurent pas la chance
De les apercevoir ou de les rencontrer
Furent bercés longtemps par les histoires
De ceux qui avaient eu l’honneur de leur connaissance.
On se racontait partout
Leurs rires et amour.
Les deux astres, volubiles, ne s’arrêtaient pas
De voler et de courir d’endroit en endroit ;
D’un bonheur avide.
Leur temps presque écoulé,
Ils cherchèrent une place,
Loin de tous les yeux de curiosité.
Ils s’arrêtèrent sur un sol vide, aride et chaud.
Sur ce sol, ils s’unirent,
Scellant ces heures de terrestre joie
Dans une étreinte sans loi.
Et nous voilà, spectateurs
Du fruit des heures
De Lune et de Soliel
En dessous de leur palais.
Cette naissance comblait
Tous ceux qui s’approchaient.
Ce bambin, dont l’apprentissage
Se déroulera sur Terre
Secouait ses mains vers ses nourrices.
Les Quatre Dames se penchaient vers lui,
Chuchotant amour, dons
Et surtout premières leçons.
Aithêr grandissait vite
Et apprenait les vies
Qu’il modèlerait.
Enfant et adolescent rieur,
Il n’en était pas moins un élève assidu.
Quatre temps le façonnèrent :
Le premier dans les courants d’Aeu
Que la chaleur du Prince faisait s’amoindrir.
Mais c’était pour mieux les nourrir,
Lorsque aidé des nuages et de la Dame
De puissants orages
Jusqu’alors contenu par sa force
Explosaient pour rengorger le sol.
Le second eut lieu dans les bras d’Iar ;
La pesanteur d’Aithêr la ralentissait
Mais elle ne s’en plaignait pas,
Appréciant ces moments de repos
Et ceux où elle se joignait
Aux nuages et à sa sœur de l’eau
Pour donner à l’orage
La virulence de la tempête.
Le troisième fut dirigé par Fuane,
Qui lui présenta son royaume
Lui apprenant à aimer tous ses habitants
Et à ne point oublier de contrôler
Son ardeur s’il ne voulait pas
Que les vivants souffrent trop.
Et enfin, le dernier temps se déroula sous les caresses de Folre.
Elle aussi lui apprit l’amour
De son royaume et sa diversité.
Elle lui montra les conséquences
Quand Soliel s’emportait trop et pas assez,
Lui enseignant l’équilibre,
Les possibilités définies et celles libres.
Ainsi Aithêr lors de la cérémonie,
Sa cape d’adulte put revêtir
Accompagné des regards fiers et aimants,
Avant de prendre sa position
De lien entre tant d’entités
Et de maître d’un temps.
Ce n’est que bien après,
Que Lune et Soliel
Décidèrent de retourner sur Terre
Pour rendre visite aux vivants,
A leur fils et à tous ceux qui croiseraient leur chemin.
Cette fois, ils partirent à l’aube d’une nuit,
Sans se douter de l’infortune qui les guettait.
En effet, à cette époque Niut cherchait
Un moyen de retrouver sa splendeur
Et son fils, Crépucsule, l’avait prévenue
De l’absence des deux astres.
Elle se rendit alors dans le coin-ciel
Des deux entités, cherchant à tout prix
La cape de sa propre-mère.
Niut savait que sans celle-ci
Lune ne pourrait revenir
Et qu’ainsi l’intégralité du domaine de la nuit
Ne serait plus qu’à elle.
Lors de cette nuit, Lune et Soliel
S’unirent à nouveau
Sur le même sol décharné
Et sentant l’heure venue
Seul Soliel parvint à retourner en le ciel.
Lune coincée sur ce morceau de sol
Sentit la peur grincer entre ses os.
Ne voyant pas sa compagne le suivre
Soliel fit immédiatement demi-tour :
« Mon bien-aimé, aide moi.
Quelle est cette nouvelle loi ?
Pourquoi ne puis-je t’accompagner
En notre demeure, en le lieu où je suis née ?
Qu’arrive-t-il à mon corps
Qui reste vissé à ce sol ? »
« Ma bien-aimée, me voilà tout autant surpris.
Il existe forcément une raison
A ce qu’il t’arrive.
De nouveau, essayons.
Ma main, je te conjure de prendre. »
Malgré leurs mains serrées,
Une seule entité
Parvint au ciel.
Alors usant encore quelques forces,
Il retourna sur Terre
Promettant à son envers
Qu’au plus vite il découvrirait
La folle explication à cette situation.
Puis il quitta l’étoffe des Quatre Sœurs
Et quand il revêtit la sienne,
Il remarqua l’absence de celle de Lune.
La colère de la trahison le subjugua
Et il convoqua toutes les entités
A se présenter à son palais.
Quand l’assemblée fut au complet
Des murmures de surprises gonflèrent dans les rangs ;
L’absence de Lune
Ne pouvait passer inaperçue.
« Silence !
A ce que j’entends
Vous avez rapidement compris
La raison de votre forcée visite.
Lune, primaire, reine et mère
Se trouve bloquée sur Terre.
Sa propre cape se trouve manquante.
Entendez ma colère, entités :
Sa propre cape se trouve manquante.
Celui, celle ou ceux responsables
De ce crime impensable
Seront frappés par mon pouvoir d’astre.
Plus longtemps ma bien-aimée sera prisonnière
Plus ma fureur sera meurtrière.
Je vous conjure de faire le nécessaire.
Aidez-moi et vous serez récompensé d’une merveilleuse manière.
Et je demande au voleur inconscient
De se rendre. »
Niut pourtant ne se dénonce pas,
Et son fidèle fils n’y pense même pas.
Dix jours durant toutes les entités cherchèrent le tissu de Lune
Sur et au-dessus du monde.
Soliel se rendait aussi souvent que ses forces le lui permettaient
Auprès de son envers
Dont la santé se détériorait
Aussi vite que son ventre enflait.
Voilà où était rendu leur désespoir :
L’ombre de la mort planait doucereusement
Au dessus de Lune et de leur enfant.
Car si elle ne s’en retournait pas bientôt,
Elle s’éteindrait.
Les vivants et les enfants de Folre
Lui avaient aménagé un nid sur le sol.
Et tous se succédaient
Pour la veiller, lui apporter breuvage et nourriture,
Réconfort et amour pur.
Mais rien n’y faisait,
Lune mourrait.
Et c’est au dixième jour
Qu’elle donna sans force aucune
Naissance à un minuscule enfant froid
Qui hurlait sous le poids
De la douleur et de l’absence
Du souffle maternel qui s’était éteint
Au moment même où les poumons du bambin
Avaient respiré l’air vif.
Cette perte, tous la ressentirent immédiatement.
Aux cheveux de Lune s’agrippait l’enfant
Et ses cris rendaient l’air glacial.
Autour des deux l’herbe se gelait,
Les arbres se mettaient vite à nus,
Les eaux se pétrifiaient.
Certains animaux, eux, fuyaient la mort froide
Quand d’autres résistaient sous leur pelage
Pour pleurer l’astre.
Bien plus loin à cet instant,
Niut se brisa de peine et de remords.
La culpabilité la dévorait si vite
Qu’elle attrapa la cape de sa mère
Et descendit aussi vite qu’elle le pouvait sur Terre.
Implorant que cette mort ne soit pas immuable,
Courant vers le corps immobile
De Lune protégé par cet enfant
Dont les cris ne cessaient pas
Et par Soliel dont la chaleur s’engourdissait.
Sans un mot, elle enveloppa l’astre
Et le porta en le ciel.
Puis elle appela Aithêr,
Lui ordonnant d’aller chercher
Son père et le nouveau-né,
Les implorant de brûler
Comme jamais auparavant ils n’avaient brûlé.
Vous l’avez sûrement deviné ;
Lune se réveilla grâce à la chaleur
Des deux conjuguées
Emmaillotée dans la cape de ses heures.
Niut prétendit avoir retrouvé le tissu
Quelque part sur quelques montagnes.
Et personne ne chercha la vérité
Car c’était un temps de fête.
Lune allait reprendre ses forces,
Et un enfant était né.
Celui-ci fut nommé Decem.
L’étendu de ses pouvoirs nous avons déjà aperçu
Et telle aptitude innée
Était compliqué à contrôler.
Après avoir reçu le même enseignement qu’Aithêr,
Decem restait obstiné
Et possédé par de mystérieuses colères.
Jaloux aussi de l’amour évident et naturel
Que tous portaient à son frère.
C’est pour cela qu’avec de grandes précautions
Lune et Soliel retournèrent sur Terre
Par deux fois.
Car si Decem et Aithêr
Possédaient chacun un temps distinct,
Il était plus sage de les séparer
Et de rendre les transitions entre eux
Plus aisées à vivre pour chacun.
Naquit alors Primever,
Le fils contrôlant le temps
Entre Decem et Aithêr.
Car Decem débordait toujours sur son frère
Et avec l’arrivée de ce troisième fils,
Il fut contraint d’accepter les changements.
Alors les neiges fondaient,
Les arbres et animaux se réveillaient.
Doucement fleurs et ruisseaux
Eclosaient de nouveau.
Le temps de Jour reprenait
Quelques heures occupées par Niut.
Puis Primever donnait sa place à Aithêr
Qui la cédait ensuite au dernier-né Augeo,
Qui teintait la nature de couleur chaudes
Et préparait le sol à l’arrivée de Decem.
Les visites terrestres des deux astres se firent rares.
Ils avaient rempli la demande des Sœurs
En donnant au monde
Un cycle en quatre temps.
Cette valse, désormais, amenait les mouvements
Nécessaires aux vivants.
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