Fury of Love
Dans les édifices virtuels, des batailles font rage et brisent des esprits tous les jours de l’année. Jerry revient dans le vent écrasant de l’été pour vous raconter la chute d’Olivier “Perro” Biguemouffe, assassin de niveau 99, lors de son affrontement nocturne contre les Fury of Love, guilde antagoniste.
23h11 sur la zone de notification. Fury of Love l’avait chain toute la night. Perro était à bout, à deux doigts de fracasser son clavier : le PvP[1], d’habitude, il gérait, alors comment des manchots pareils le défonçaient ce soir ? Son poing lui faisait mal à force de s’écraser sur le bureau ; sa voix même s’éraillait à force de crier comme un dingue. À deux reprises déjà sa voisine avait frappé au mur : TA GUEULE, SALOPE, NIQUE TA MÈRE ! Après qu’elle se fut tue, les yeux de Perro retrouvèrent le chemin de son écran, sa main du NPC[2] qui le téléporta au PvP : il pouvait bien s’acharner encore un peu plus. Il se donnerait cent fois à ces pédés, puisqu’ils aimaient tant lui refaire le cul. Nouveau clic. 67 morts. FILS DE PUTE, SA MÈRE ! Perro s’explosa une phalange sur les lattes de son lit. Comment c’était possible que ces mecs aient si peu d’honneur ? UN CONTRE UN, C’EST TROP DEMANDER SUR C’JEU D’MERDE ? PUTAIN ! La situation avait empiré depuis le début de la soirée. Au fur et à mesure, le groupe ennemi s’était garni, si bien que les portes de la salle lui étaient tout bonnement inaccessibles. Monter sur le tatami central avait fini par devenir son objectif. Abattu, il eut un rebond de conscience. Il concentra tous ses esprits pendant une dizaine de minutes, se calmant, faisant le point sur les capacités qu’il avait perdues en perdant la raison. Il était moins précis dans ses clics, moins attentif à son environnement, moins réactif face aux attaques ; en bref, ses talents s’étaient obscurcis mais, maintenant, il y voyait plus clair. Après un grand souffle, il cliqua de nouveau sur le placide NPC. Personne. S’étaient-ils tous barrés ? Impossible, sept personnes étaient recensées. Alors quoi ? Il restait sur ses gardes. Soudain, qui bondit de nulle part, un membre de Fury of Love. Il l’esquiva, dansa avec, lui porta quelques coups : il avait l’avantage. Ses sourcils se fronçaient, congestionnés par la concentration. Plus que quelques points de vie. Quoi… !? Il avait mordu à l’hameçon. Parurent derrière lui, alors qu’il s’apprêtait à achever son adversaire, deux nouveaux ennemis. Guillotine fist ! Mort d’un seul coup, sans aucune chance d’esquive. Yeux écarquillés. Un moment de silence puis la tempête : il se mit à gueuler comme un sauvage dans tout l’appartement en insultant les morts de tous ses adversaires. Sa voisine retapa. FERME TA GUEULE, ENCULÉE ! PUTAIN, TU VAS PAS ARRÊTER DE ME CASSER LES COUILLES ? À nouveau le silence. Il entendit, qui passa le mur fin, une voix menaçante : « Tu l’auras voulu ! » Il n’y prêta pas d’attention. Affalé sur son siège, il déposa son casque le long du bureau. Plus tôt dans la journée, sa guilde et lui avaient dominé la salle de la même manière, interdisant l’accès aux joueurs seuls ou moins bien préparés. Ils venaient d’arriver sur le serveur et leur ascension avait été fulgurante, de telle manière qu’ils avaient provoqué tous les joueurs à les défier et qu’ils n’avaient pas encore trouvé la défaite. Cela restait cependant une performance de groupe ; ce soir, Perro avait fait preuve d’orgueil en s’aventurant seul en ces terres hostiles où il avait, dans l’après-midi, humilié tout le monde à grand coup d’insultes et de mots vexants. Il avait vécu la soirée comme une humiliation. Il se redressa, se rendit en ville. Là, il paya un annonceur qui répandit dans toutes les villes du jeu le message suivant : « Dès demain, la guilde Fury of Love sera interdite de PvP. Ce soir, vous avez fait une erreur. J’espère tout de même que vous vous êtes bien amusés. » Il reçut un message privé : « À demain, connard ! » Perro se déconnecta sans répondre et alla s’allonger, tout sourire : le poisson avait mordu. À cet instant, on frappa à sa porte : « Monsieur Biguemouffe, c’est la police. Ouvrez. » Olivier Biguemouffe ouvrit. La BAC fit irruption, le plaqua sur le sol et l’amena au poste. La voisine, soulagée, les remercia de leur intervention rapide. Cette fois-ci Olivier garda le silence, il pensait à demain, l’âme agitée : que dira-t-on de lui quand on verra qu’il ne se reconnecte pas ?
[1] Mode de jeu Player versus Player (joueur contre joueur).
[2] Non playable character, personnage non jouable.
The end.
C’est déjà fini ? Jerry t’a subjugué par son art du récit ? Voici un lien vers une autre nouvelle : Dans les yeux bleus du monde ! Un texte sur le thème de l’obsession.
Du lourd a quand la suite ?
Aucune suite prévue, juste de nouvelles histoires !