Iar et Aeu
Iar et Aeu
Il était une fois,
Sur la Terre primordiale,
Quelques idéals,
Quelques naissantes lois
Pour régir les entités
Qui depuis leur création
S’organisaient dans ce monde nouveau-né.
Soliel et Lune, puissants amants,
Veillaient sur Jour, prince ardent.
Alors qu’en même temps
Étaient nées,
Comme des quadruplés,
Les quatre dames vaillantes :
Dame Folre, mère du végétal ;
Dame Fuane, mère de l’animal ;
Dame Aeu, mère de l’aqua ;
Dame Iar, mère du vent.
Presque premières nées
Dans ce nouveau espéré,
Elles existent sans enfance
Au sein même de leur adolescence.
Prêtes pour le crépuscule de leur jeunesse
Et les portes entrantes de leur sagesse.
Mais laissons pour le moment
Leurs heures sages de côté
Et laissez-moi vous emmener
Aux confins de leur vie débutant.
Ces quatre dames, d’abord jeunes filles,
Étaient tissées des fils
De la nature changeante,
De la beauté mouvante.
Je vous conterai sûrement
Les cornes et bois grimpants
De Dame Fuane.
Les corolles et branches plongeantes
De Dame Folre.
Mais dans cette histoire-là,
Peu de flore et d’animal,
Mais du vent et des vagues.
Car si les sœurs Fuane et Folre
Dès leur naissance ont su se mettre d’accord
Sur leur cycle de beauté immuable,
Loin de l’entente étaient les deux autres membres du quatuor.
La peinture de Dame Iar
Est vive, volubile, impétueuse.
Elle est zéphyr inné,
Furieux vent,
Source vitale.
La peinture de Dame Aeu
Est liquide, doucereuse, tumultueuse.
Elle est ruisselet pluvieux,
Vagues en dentelles d’écume,
Source vitale.
Encore plus multiples sont-elles.
Mais davantage vous les décrire
Ternirait leur sourire.
Quels mots rendraient justesse à ces entités ?
Quels mots serviraient la caresse de ces entités ?
Vitales, elles le sont toutes deux.
Ce qui était source inépuisable d’orgueil,
Puisque Fuane et Folre puisaient dans leurs yeux
Les énergies nécessaires à leurs pelages et feuillages.
Ainsi le regard d’Iar et d’Aeu
Trop souvent était teinté d’arrogance
Et d’humilité bien trop peu.
Tant l’idée d’une supériorité évidente
Les rendait suffisantes et cassantes.
Alors ne nous étonnons pas
De ce qui suivra.
Une dispute, comme la Terre n’en avait jamais connue,
Déchira les deux sœurs têtues.
Ce fut sans précédent,
Et pour ma mémoire
Jusqu’à aujourd’hui rien de tel
Ne troubla ainsi mer, terre et ciel ;
Ne causa à Soliel et Lune autant de désespoir.
Partout les enfants de Fuane et Folre
Se cachèrent, fuyant un funeste sort
Et hurlèrent à la catastrophe.
Pouvez-vous imaginer
Tout de la nature conjuguée
En un seul et même cri,
Qui ne possédait même plus la voûte du ciel comme abri ?
La totalité liquide existante
Contre
La totalité de l’air existante.
La raison de leur querelle
Avait cette absurdité
Presque humaine et toutefois intemporelle
Qu’ont les guerres et les fossés.
Leur jalousie était née d’une concurrence
Pourtant insensée et sans réelle conscience
Du monde les entourant,
Les couvant.
Qui des deux était la plus primaire ?
Qui des deux était la plus majoritaire ?
De l’air naissait la mer ?
Ou de l’océan naissait le vent ?
Qui était le plus indispensable à l’autre ?
Qui était le plus indispensable à tous ?
Leur coexistence, elles n’y pensaient point.
Car leur fierté indécente s’exprimait plus haut encore
Que l’indulgence ou même le soin
Qu’elles auraient dû offir aux vivants
Nés de l’alliage des forces.
Mais comment raisonner deux entités turbulentes ?
Tout commença au détour d’une énième conversation
Qui avait pour sujet leur création :
Comment, pourquoi avaient-elles été créées ?
Comment, pourquoi créaient-elles ?
« De mon sein naît l’eau
Qui irrigue les peaux,
Qui abreuve les roseaux,
Qui accueille les petits et grands êtres de l’aqua. »
Annonaît jeune Dame Aeu,
En recueillant les perles liquides de ses cheveux.
« De mon sein naît l’air-vent
Qui nourrit les poumons,
Qui respire les chlorophylles,
Qui abrite les petits et grands êtres du ciel. »
Annonaît jeune Dame Iar,
En recueillant dans ses boucles de légères tornades.
« Ton élément s’attarde
Après le mien
Qui est plus vital
Et plus sain
Que le tien. »
Et d’un ton leur discorde s’élevait.
Un temps encore puis leur mésentente colère serait.
« Ta condescendance est pathétique.
Quelle arme contre moi te serait utile ?
Ton élément n’est qu’un bâtard du mien.
Alors ne t’esclaffe pas, ne t’acharne pas pour rien. »
Quel mot fut de trop ?
Quelle lance fut la première ?
La rapidité de leur échange
Ne me permet pas de vous l’apprendre.
Sachez seulement que la stérilité de leur débat
Est la même que celle qu’on lira dans leur combat.
Car figurez-vous vent et eau
Dans leur plus grande violence,
Conjointe et virtuose.
Siphons creusèrent les étendues aquatiques.
Ouragans dévastèrent le lit de trop de vivants et de trop de rivières.
Pluies torrentielles se mêlèrent aux vents les plus furieux ayant jamais couru sur Terre.
Vagues frémissantes et hurlantes emportèrent les nids des habitants du ciel.
Un tel déchaînement.
Êtes-vous capable de le discerner ?
Ciel et Terre tremblent.
Terre et Ciel grondent.
Sous la puissance virulente
D’Iar et d’Aeu
Sous la fusion impressionnante
Des deux.
Ce monde nouveau-né
Était dévasté,
Par les forces égales
De ces deux sœurs vitales.
Fuane et Folre pleuraient
Leurs enfants perdus
Par la rage nue.
Tempêtes et grêles ne s’arrêtaient plus depuis un temps de désespoir,
Quand la guerre emporta une princesse frêle
Loin de sa reine mère et de son miroir.
Désolés par les événements terrestres,
Lune et Soliel
Ne prirent pourtant partie
Que le jour où Niut naquit.
Car princesse si légère,
Elle fut prise par les colères.
Et croyant sa fille perdue,
Un vortex se créa en Lune ;
Un vortex courroucé par le chagrin,
Un vortex de furie vengeresse.
Un tel vortex se créa en Lune
Qu’elle cristallisa les étendues d’eau :
Plus de marées ni de vagues hautes.
Seulement d’immenses lacs statiques.
Et Soliel, mu par son amour,
Brilla si ardemment que plus aucun nuage n’habillait le ciel,
Que plus aucun vent ne pouvait arpenter l’univers.
Car sa chape de chaleur, appuyée par son fils, Jour, était impénétrable.
Oui, Iar et Aeu furent soudain enchaînées par Lune et Soliel.
En effet, si elles sont entités primaires,
Les deux astres restent roi et reine incontestés.
Pourtant leur royauté n’a point pourri leur âme de sécheresse et d’arrogance.
Leur noblesse les pousse même à dépasser la disparition
De Niut, emportée par les tourbillons.
Le visage droit et fier malgré la tristesse,
Ils dirigent le procès.
« Le nombre de morts, de blessés, d’exilés
Est trop important pour être compté.
Mes Dames, rappelez-vous votre naissance
Et les devoirs qu’appellent votre sang et vos sens.
Ni dévastation, ni assassinat
Sans raison d’autant d’âmes
Ne peut être permis.
Votre manque de jugement
Appelle le mien et celui de mon amant.
Vous vous êtes égarées hors du domaine de la raison,
Mais retrouvez sans délai ses sentiers ou ce serait trahison.
L’une et l’autre avez le même pouvoir.
Alors construisez autant de miroirs
Que votre alliance peut avoir de facettes et de combinaisons.
Simple sera votre condamnation.
Alors disposez mes Dames,
Et sachez à l’avenir
Que toute tempête
Peut être en violence
Si elle demande la clémence.
Que toute tempête
Peut être en véhémence
Si elle demande la cohérence. »
Ainsi parla Lune, l’astre sourcière.
Iar et Aeu, en silence, s’exécutèrent.
La peinture de leur visage
Était plus éloquente que n’importe quel paysage.
Il eut simplement fallu l’intervention de l’astre
Pour qu’elles voient leur désastre.
Simplement ? Aucune résolution n’est simple.
Et la culpabilité lentement dans la conscience grimpe.
Même lorsque celle-ci est aveuglée par un orgueil dévastateur.
Est-ce la mort des innombrables petits de leurs sœurs ?
Est-ce la Terre si neuve, si luxuriante
Maintenant sablonnée de déserts
Inexistants avant leur colère ?
Maintenant cassée de montagnes
Inexistantes avant leur carnage ?
Ou bien la perte de la princesse ?
Peut-être seulement la faiblesse
Lisible sur la face de Lune
Tout au long de la tribune.
Toujours en est-il
Que subsistent encore aujourd’hui des îles
Dans les étendues aquatiques ;
vestiges du morcellement du sol
Par leur guerre.
Qu’encore aujourd’hui comme impérieux rappel
Soliel, parfois, se montre si fort qu’aucun vent ne parcourt le ciel.
Et que la Terre est peuplée par des lacs,
Souvenirs que l’eau peut être en flaque.
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