KITSON – Manuel de survie à l’usage des jeunes filles
Auteur : Mick KITSON, traduit de l’anglais (Ecosse) par Céline SCHWALLER
Titre : Titre français Manuel de survie à l’usage des jeunes filles ; titre original Sal.
Année de publication :2018
Editeur : Métailié
Résumé :
Sal, une jeune fille introvertie de treize ans et Peppa, sa petite sœur bougonne de dix ans, s’enfuient de leur domicile familial après que l’ainée a assassiné Robert, leur beau-père alcoolique et violent qui abusait sexuellement d’elle depuis des années et menaçait de s’en prendre à Peppa. S’ensuit alors une longue période de survie dans la dernière réserve naturelle d’Ecosse, la réserve des Highlands Titles, pour échapper aux autorités qui risqueraient de les séparer. Durant cette fugue, Sal met à l’épreuve toutes les connaissances qu’elle a acquises par le biais d’internet et notamment des vidéos Youtube de grands professionnels de la survie tels que Bear Grylls ou encore Ray Mears. De la pêche à la construction de cabane étanche en passant par la chasse à la carabine, les deux jeunes filles se découvrent alors de vraies aptitudes à la survie, quitte à mettre leur vie en danger. Pourtant, malgré les situations difficiles qu’elles vont vivre, rien ne pourra ne serait-ce qu’entamer le lien indéfectible qui les unies. Ainsi, même lorsqu’elles sont retrouvées par la police, à la fin du roman, Sal fait tout pour que Peppa et elle puissent continuer à se voir avant et après son procès.
Mais Manuel de survie à l’usage des jeunes filles ne se contente pas de narrer l’histoire de deux sœurs. Il nous raconte aussi la vie de leur mère, une femme dépassée par les événements et par sa maladie, l’alcoolisme, mais prête à tout pour s’en sortir et devenir la mère qu’elle n’a jamais su être, ou encore d’Ingrid, la sorcière-goudou allemande qui va partager la vie de Sal et Peppa dans la forêt, et leur peindre un tableau exhaustif de son existence. Ce roman est enfin une ode au retour à la nature, personnifiée dans la figure de la Déesse Mère, à sa capacité à écouter mais aussi à pardonner les erreurs passées.
Avis critique :
Manuel de survie à l’usage des jeunes filles est un roman très imagé qui laisse à l’esprit la possibilité d’imaginer les paysages décrits, ce qui est plaisant. Les descriptions de paysages très détaillées permettent de fixer un cadre précis et envoûtant, qui ne peut que donner envie d’aller aux Highlands. L’histoire, quant à elle, est touchante bien que l’intrigue en elle-même ne soit pas des plus palpitantes. Finalement, l’intérêt du livre se trouve plus dans les vies qu’il évoque de manière très réaliste et qui renvoient à des réalités sociales et historiques que l’on néglige encore trop aujourd’hui, que dans l’histoire. En effet, quelques points empêchent une lecture fluide et logique pour le lecteur, notamment les niveaux de langage utilisés par le « je » narratif représentant Sal. Il est difficile d’apprécier pleinement la lecture lorsqu’une adolescente de dix ans utilise les termes « pipi, caca » et « latrines » dans une même phrase. De même, malgré le contexte spécifique dans lequel nous plonge l’œuvre et la grande maturité dont fait preuve l’héroïne, il est assez stupéfiant de lire le jargon qu’utilise Sal pour décrire ses activités comme la pêche ou encore l’orientation. Il semble aussi assez difficile de définir un public à cette œuvre, de même qu’une catégorie. Alors que les personnages principaux tendent à nous diriger vers la littérature jeunesse, ce qu’elles ont vécu, notamment le viol de Sal et le meurtre de Robert qui sont racontés de manière très imagée, mais aussi les principes qui sont véhiculés par le roman, comme le pardon, le retour à la nature ou encore à la solitude, ne sont pas forcément ceux que l’on inculque en premier aux jeunes.
Pour finir sur une note positive, il est cependant important de signaler la portée hautement féministe de cette œuvre, dans laquelle tous les personnages importants sont des femmes qui se montrent dans leur fragilité autant que dans leur force et leur courage.
Liens possibles avec d’autres œuvres :
Jon Krakauer, Into the Wild, 1996 :
Deux thèmes importants que l’on retrouve dans le Manuel de survie à l’usage des jeunes filles, la nature, avec à la fois le retour à celle-ci et la survie, et la solitude dans laquelle se retrouve le personnage principal.
Paul Lynch, Grace, 2016 :
Dans ce roman, on retrouve un personnage principal féminin et adolescent qui se lance dans un voyage de grande envergure avec comme seul compagnon son petit frère. Ici, le décor est quasiment semblable à celui de notre œuvre, et les deux personnages connaissent un parcours initiatique assez similaire.
Lucia Berlin, Manuel à l’usage des femmes de ménage, 2015 :
Première ressemblance frappante, le titre qui débute de façon quasi similaire. Mais il est aussi intéressant de noter l’utilisation du « je » ainsi que la volonté de décrire, tout comme dans le roman de Mick Kitson, plusieurs vies dans un seul livre.
Jonathan Trigell, Jeux d’enfants, 2009 :
Ce roman raconte l’histoire d’un jeune homme à peine sorti de l’adolescence qui a commis un homicide volontaire par nécessité et qui cherche à savoir comment s’intégrer dans une société qui n’a jamais voulu de nous. Il en va de même pour Sal, l’héroïne de Manuel de survie à l’usage des jeunes filles.
Mots clefs : Enfance, Nature, Survie, Meurtre, Apprentissage, Famille.
Citations :
« Ça ne m’ennuierait pas d’en tuer un [lapin]. Je n’en avais jamais tué. Ni quoi que ce soit d’autre à part Robert » – p 15
« Des fois il faut peser le bénéfice et le préjudice potentiels d’une décision quand on ne peut pas en connaître l’issue et qu’on risque quelque chose » – p 81
« Sans m’en rendre compte je me suis mise à pleurer. C’est monté en moi comme ça et je chialais pour la première fois depuis mes huit ans » – p 154
« Je crois qu’il y a une Déesse Mère qui contrôle l’ensemble de la nature et du monde. En fait, l’ensemble de la nature est la Déesse Mère elle-même et c’est elle qui crée et qui soigne toute forme de vie » – p 165
« Si l’âme de Robert est montée jusqu’à la Déesse Mère, j’espère qu’elle lui a dit d’aller se faire foutre » – p 180
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