La complainte du marin moderne : la poésie comme dessein
Pour ses amis, l’auteur et illustrateur anglais Nick Hayes crée un roman graphique et poétique, le chant de La complainte du marin moderne, œuvre publiée en 2011 en Angleterre, traduite en 2017 chez Hachette Marabulle en France. Un vent de modernité souffle sur le poème de Coleridge, où les rimes romantiques (The Rime of the ancient mariner) sont réenchantées par le trait graphique rond et doux de Nick Hayes. L’image surnaturelle est remplacée par un message écologique, militant. Le romantisme et l’allégorie religieuse se transforment en ode dessinée, pur voyage graphique et esthétique.
La complainte du marin moderne, éditions Marabout© Nick Hayes/ Marabulles
« …Se croyant seul au monde […] Il but du polystyrène. »
La modernité s’exprime par l’insertion de sujets actuels centrés sur une critique écologique. Le constat ravageur réside alors dans la dénonciation de l’amoncellement de la pourriture et des déchets humains polluant mers et océans.
Des monceaux de polystyrène
Dansaient avec des tonnes de néoprène,
Et de polymétacrylate…
De méthyle sur la mer.
Tupperwares, bouchon de bouteille, bidons, et pneus…
Les détritus, d’une espèce insoucieuse…
Un vrai bûcher funéraire.
Une dénonciation brillamment renforcée par le détournement des codes de la littérature romantique anglaise de Coleridge. Alors qu’il ordonnait sa puissance poétique vers une apologie religieuse où la mort d’un oiseau de mer, l’albatros, figurait comme climax, symbolisant la déchéance de l’homme par le meurtre ; Nick Hayes réordonne le sens figuratif et symbolique, non pas vers une révélation spirituelle dans un sens religieux, mais vers une prise de conscience individuelle : celle de sa propre place au sein de l’univers et surtout son rôle en tant qu’acteur majeur de la dégradation morale et matérielle d’un monde appauvri de toute beauté.
Beauté oubliée, bafouée, violentée et évacuée… Le romantisme anglais et la poésie sont les premières formes à offrir, par la louange et le secret des sons et des images langagières, un monde riche où la Nature, dans son sens spirituel et concret, est divinisée, à l’image de Dieu. Reflet de Dieu, l’homme ne peut que s’incliner devant puissance aussi belle. Coleridge rappelle ainsi la petitesse de l’homme dans un univers qui le dépasse, le surpasse. Un univers supérieur dont il doit honorer et respecter les limites afin d’éprouver lui-même ses propres limites. Mais la beauté des rimes romantiques donne une image seulement parfaite de la Nature. Cette fixité est mise à mal dans ce roman graphique qui utilise davantage le dessin afin de tordre l’esthétique et l’image de la Beauté. Les traits fins et épais, anguleux et ronds, ne sont pas « beaux » mais stylisés pour rendre la Nature menaçante, laide et terrible. Les hommes sont comme des spectres, des morts vivants avachis par la peur et le chagrin ; le regard silencieux, vide, fermé. Sans regard, pour cette vie…
Nous regardâmes passer le temps,
Lointain nuage silencieux,
Et dans l’air de cette zone de calme…
Les hommes versèrent des larmes.
« Le jour devient la nuit »
La nuit de l’âme. Nick Hayes choisit de coloriser de bleu le noir et blanc afin de contraster davantage le trait graphique de l’illustration qui unifie les vides et les pleins des images. L’usage du bleu, original, sert également à marquer davantage le passage de la nuit, un passage symbolique dans l’histoire. Le premier sens réside dans l’insertion du récit du marin sur le banc face au divorcé qui l’écoute malgré lui. Le second se tient dans le voyage, cette odyssée sur la mer d’abord, puis en son sein, dans ses profondeurs abyssales. Le récit emboîte donc un voyage physique, proche de l’exploration du territoire et un voyage psychique. Mis bout à bout, la confusion est palpable lorsqu’il devient impossible, dans cette nuit mystérieuse, de différencier les frontières, les lieux communs du temps et de l’espace. Sommes-nous sous l’eau, éveillés, endormis ? Rêvons-nous ?
Cette plongée graphique est magistralement orchestrée. De la simplicité, impossible de sortir….Les richesses du récit semblent infinies, les dessins, hypnotisants nous conduisent plus loin, et plus profondément dans le poème, preuve que le dessin, en offrant un support supplémentaire à ce dernier, n’appauvrit ni ne remplace les mots. La nuit est un des sujets préférés du romantisme, belle allégorie de l’ombre face à la lumière, du mal face au bien.
Aucune morale dans ce roman graphique. La nuit, seule, est juste le moment et le lieu clé. D’elle naît toutes les possibilités imaginatives. Elle englobe alors, tout à la fois, la mort, le personnage féminin, la mer, la peur, l’oubli, la perte de sens, la confusion…Elle est tout ce que le marin rejette, tout ce qui ne cesse de le hanter et l’assaillir. Elle est l’environnement cauchemardesque peuplé de créatures rendues effrayantes par l’obscurité.
Une nuit infinie, dans lequel, « le temps s’arrêta et je restai figé, pétrifié de terreur. »
Lecture finie. Retour du voyage, ici et maintenant, malheureusement, vers “un monde inconséquent…”
J’aimerais tant
Rester à deviser
Mais les temps ont changé
Le temps, c’est de l’argent !
Et tout ça…
N’était qu’une comptine
Bonjour à toute l’équipe de la plume de sel,
Actuellement âgée de 21 ans et vivant à Lyon, après avoir lu une étude spécifiant qu’en moyenne un lecteur sur cent lit de la poésie, j’ai décidé de lancer ma chaîne YouTube de poèmes lus, mis en musique, et illustrés. L’un d’eux a été déclamé par le prix Nobel de Géographie Antoine Bailly. Je vous laisse découvrir la chaîne: https://www.youtube.com/watch?v=X8EgPKIdH1Q&index=2&list=PLBACzxf-3B2sBxouzhZ022P5iMoAwE55u
J’aimerais savoir si vous accepteriez d’écrire un article sur la jeunesse qui réalise ses rêves ou le renouveau de la poésie ou de partager ma chaîne.
Merci d’avance
Cordialement,
Anne Sophie TOUTAIN