La Favorite: Our favorite game ?
Petit billet d’humeur pour se mettre en jambe et faire le lien avec le film critiqué par Adeile, The Lobster. Comme elle, je me souviens de quelques images vagues, une masculinité sur le déclin, mélancolique empreinte de vieillesse enlaidie, de promesses d’amour et de ridicule, à mi-chemin entre l’angoisse et l’ironie… Le film est réussi en ce qu’il parvient à introduire le spectateur dans un univers particulier où les fantasmes, les désirs et les rêves inaboutis se concrétisent dans un lieu précis, microcosme dans lequel évoluent différents personnages aux rôles bien définis. Cette incursion fantasmatique devient plus réelle que le réel. On y croit, on s’y tient. Le film poétise les pulsions humaines (amour/haine, vie/mort, rigueur/ambiguïté…) et les met en scène habilement, preuve que l’univers psychique du héros, aussi fertile que foisonnant, parvient à nous tenir en haleine jusqu’à la fin, avec un suspense étrange, à la fois insupportable et plaisant. Et pour The Favourite ?
The Favourite ? So cliché : des femmes, un château, des gâteaux et des lapins
Petite digression qui introduit juste que The Favourite n’est pas, comme The Lobster, un film réussi qui fait et donne sens à quelque chose. Un film bien plus plat, sans réelle consistance. Un film qui se rate sur l’essentiel, qui est ou aurait dû être une « incursion » dans l’imaginaire plutôt qu’une description fade des rapports de force entre femmes. De la richesse du psychisme dans The Lobster, on touche ici le fond de la comédie de mœurs sentimentale, digne de fanfictions érotiques mal écrites…. Tout est de bon aloi. On passe de la vérité, d’une humanité touchante et dérangeante (The Lobster), au « psychologisme » de bon ton, bien cliché, sans intérêt, accessoire…
Il serait navrant de constater que l’on s’habitue à exiger moins de choses d’un film, si l’on parvient à être « ébloui » par la soi-disant perfidie des femmes lorsqu’elles se retrouvent entre elles. Car c’est bien sur ce trio que se constitue l’argument du film. Or, déception, les petits coups-bas et humiliations, les caprices « cyclothymiques » (ce qu’on veut nous faire croire), les mensonges, les fausses-combines… Rien ne prend. Les personnages principaux se distinguent les uns des autres, mais individuellement sont vides et creux jusqu’à l’ébauche d’une mauvaise caricature : la reine esseulée et déprimée, la courtisane leader et charismatique, l’ingénue menteuse et ambitieuse… A croire que la féminité ne se résumerait qu’à la volonté de plaire, d’être aimée ou de parvenir à concrétiser une vague ambition politique.
En plus d’être cliché, les relations qu’elles entretiennent ou plutôt les non-relations sont elles aussi sans saveur, rien dans The Favourite n’est approfondi (pas de souvenirs, pas d’histoires, peu d’anecdotes, pas de personnages tierces qui viennent enrichir un peu le fond…), à tel point qu’il faut – comble de l’ennui et du malaise, suggérer le sexe entre elles pour donner un peu de piquant, ou de crédibilité… Ou encore, remplacer les homards dans The Lobster, par des lapins symbolisant les enfants morts de la reine… Tant de combines, de subterfuges pour essayer de lier ce qui n’est pas : trois femmes dans un même lieu. Si d’ailleurs, le terme de huit-clos peut être évoqué, il est, pour ce film, trop élogieux. Certes, nous avons un château (magnifique d’ailleurs, les vues intérieures et les jardins sont admirablement filmés, on a juste envie de se balader à Versailles après ça, ou à défaut, faire les châteaux de la Loire….) et il ne s’y passe rien.
The Favourite (still ?!) So sweet : not original product
The Favourite se concentre exclusivement à montrer une image du pouvoir politique et intime, un pouvoir décadent et dégradé par l’image sans noblesse de l’immaturité de tous les personnages. Immaturité pénible (sauts d’humeur, crises de larmes ou de gouttes pour donner l’illusion de la vulnérabilité…) en ce qu’elle n’est ni drôle, ni fine, ni même structurée et stratégique. Une autre faiblesse du film est pour lui de s’implanter dans un temps et un lieu historique (l’Angleterre baroque), sans en suggérer un code qu’il aurait été habile de détourner (les jeux de cours sont ici absents). Ici, film sans Histoire, les décors et les costumes ne sont là que pour mettre de l’ambiance, pire, il aurait pour but de faire contraste entre les joliesses architecturales et les vilénies des stratagèmes qui se trameraient dans l’ombre…
The Favourite n’a aucune intrigue, ce qui est fort regrettable car ce qui aurait pu donner une certaine « grandeur », une grandiloquence épique, c’est bien la subtilité des stratagèmes politiques et intimes. Or, il n’y en a pas, il n’y a aucun enjeu, aucune passion ; on ne sait d’ailleurs pas, finalement, pourquoi les personnages existent si ce n’est parce qu’ils sont là, et parce qu’ils n’ont pas le choix. L’évacuation du politique réduit l’intrigue à l’intime, et à quelque chose de mal maîtrisé, proche de l’ennui.
En effet, déçu, on aurait préféré la beauté de fresques historiques tel que le film de Chéreau, La Reine Margot (on passe du 18e au 16e ) œuvre de Dumas, qui sait introduire la mort et la sensualité troublante, obsédante à travers des peintures historiques aussi somptueuses que dérangeantes (cadavres nus, sublimes et esthétisés ; malaise devant la maladie, les suggestions d’incestes, les combines politiques, les affrontements familiaux allant jusqu’à l’empoisonnement, les scènes de chasse et de mort….). Ici, on a des maladresses stylistiques comme la succession de « tableaux » ordonnés par des chapitres, une métaphore de la chasse, des scènes de chorégraphie (on se rappellera des converses dans le film de Coppola, Marie-Antoinette, la petite touche rock-rebelle-glossy…) qui ne surprennent guère si ce n’est pour titiller notre frustration et notre volonté de désirer plus d’un film.
L’erreur de Yórgos Lánthimos est de nous promettre le jeu et l’outrance sans y parvenir. L’épisode navrant de la correspondance entre les deux femmes m’achève et me plonge dans le désarroi. On se la joue Liaisons dangereuses, alors ?! Mais il n’y a aucune séduction dans The Favourite. Aucune de la part des femmes entre elles, sur elles. On aurait préféré des mensonges plus habiles, des stratagèmes bien ficelés, de la “vraie” méchanceté, subtile, sans remord. On aurait préféré de la rage, moins de sentiments, plus de cruauté, plus de jalousie, de haine palpable, de la tension !… On aurait préféré plus d’imagination, plus d’intelligence… La volonté de faire tomber une rivale est là, mais les moyens mis en place sont bien peu de choses. Tout se passe, à mon grand regret, trop aisément et on oubliera ce film une fois l’avoir vu, sans qu’il n’y ait la moindre odeur capiteuse du pouvoir que l’on peut exercer sur soi ou sur les autres. Pas assez de “pourriture” que les cadavres de spectateurs alanguis devant des sièges baroques et des pelouses vertes.
Crédits images : 20th Century Fox France (France)
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