Obsession, épisode 2 : les inspirations classiques de Gainsbourg
Aujourd’hui, on va parler obsession. Vous vous en doutez maintenant, mon obsession à moi, c’est la musique. Et plus particulièrement la musique classique. Après vous avoir parlé de La Traviata ou encore de Debussy, j’ai voulu aujourd’hui partager avec vous ma passion pour les chansons de Serge Gainsbourg. Mais pas n’importe lesquelles. Vous allez voir que Gainsbourg était lui aussi obsédé mais ce n’est pas ce que vous croyez. Gainsbourg était obsédé par le “grand répertoire”.
Il disait d’ailleurs : « J’aime la grande musique. Moi je fais de la petite musique. De la musiquette. Un art mineur. Donc j’emprunte ». Je vais aujourd’hui vous présenter quelques uns de ces “emprunts”, la plupart parfaitement assumés. J’ai compté pas moins d’une vingtaine de titres directement inspirés de morceaux classiques mais j’en ai choisi ici quatre.
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On commence avec un morceau que vous connaissez tous, que vous chantonnez de manière plus ou moins assumée sous la douche, j’ai nommé “Poupée de cire, poupée de son”. De cette chanson, on croit tout savoir, qu’elle fut écrite pour la naïve France Gall et qu’elle remporta l’Eurovision en 1965 mais on sait moins qu’elle fut inspirée à Gainsbourg par le quatrième mouvement de la sonate no1, dite “en fa mineur” de Beethoven.
Pour repérer l’emprunt, ici très subtil puisque constitué de quelques mesures seulement, il faut écouter attentivement à partir de 00:37. Vous entendrez le thème sautillant repris par France Gall. De manière très originale, Beethoven allie un thème trépidant à des accords mineurs, ce qui donne une forme d’impétuosité mélancolique, qu’on retrouve aussi dans la chanson de Gainsbourg, thème léger mais pas dénué d’ambiguïté. Si le coeur vous en dit, écoutez l’intégralité des quatre mouvements de cette sonate, l’une de celle que Beethoven préférait. Voici ici le quatrième mouvement, aussi appelé “prestissimo“.
On continue avec un emprunt cette fois plus assumé. Encore une fois, c’est une chanson que vous connaissez tous : Initials B.B. Pour la volcanique Brigitte Bardot, il ne fallait pas moins qu’un thème révolutionnaire, le premier mouvement de la “Symphonie du Nouveau Monde” de Dvorak ! Brigitte Bardot a d’ailleurs dit de cette chanson qu’elle était “la plus belle déclaration d’amour qu’un homme lui ait jamais faite“. L’orchestration est ici particulièrement audacieuse et moderne.
Pourquoi la “symphonie du Nouveau monde” ? Tout simplement parce que Dvorak, qui était tchèque, l’a écrite aux Etats-Unis. Il dit s’être inspiré de musiques traditionnelles indiennes. Comme quoi, en musique, tout n’est qu’inspiration et ré-interprétation. A titre personnel, je trouve que ce thème convient très bien à Brigitte Bardot qu’on peut considérer , à bien des égards, comme l’irruption d’un “nouveau monde” dans les années 1950, plutôt conservatrices. Cette symphonie de Dvorak, dont vous connaissez probablement le thème final, particulièrement explosif et optimiste, est un de mes immenses coups de coeur de tous les temps ! Rendez-vous à 1:55 pour l’emprunt de Gainsbourg (mais écoutez-la en entier dès que vous pourrez… si, si, j’insiste).
Après ce feu d’artifice musical, continuons avec quelque chose de sobre, quelque chose de mélancolique et de doux. Gainsbourg a beaucoup composé pour Jane Birkin, en particulier après leur séparation. Il lui dédie un magnifique album, dont voici la chanson éponyme, Baby alone in Babylone. Très dure à chanter en raison de son rythme, cette chanson évoque, en des termes particulièrement poétiques, l’histoire d’une jeune fille “recherchant les studios et les traces de Monroe” mais “noyée sous les poussières des étoiles éphémères”…, la dure vie d’une aspirante actrice à Hollywood.
Cette fois, Gainsbourg a tout gardé du 3e mouvement de la Troisième symphonie de Brahms : les harmonies si mélancoliques, le rythme déroutant et l’ascension presque mystique de la mélodie. Cet air, qui a connu une immense postérité, est aussi le thème du film Aimez-vous Brahms, adapté de l’oeuvre de Françoise Sagan et mettant en scène Ingrid Bergman, Yves Montand ou encore Anthony Perkins…
On finit avec une chanson moins connue, également écrite après la séparation de ce couple mythique, “Lost song”. Les paroles, douloureuses, font le récit de l’échec d’un amour : “dans la jungle des amours éperdues, notre émotion s’est perdue…”. Gainsbourg a parfaitement exploité les nuances et le souffle de la voix de Jane Birkin dont l’interprétation souligne la personnalité et la soif de liberté. Cette chanson est nostalgique mais dénuée d’amertume. C’est simplement l’histoire d’un amour qui a vécu sa vie avant de s’éteindre sans bruit.
Cette fois, ni piano, ni symphonie, Gainsbourg a repris un air d’opéra ! Enfin, plus exactement, la “chanson de Solveig” dans Peer Gynt, ici interprété par la soprano norvégienne Marita Solberg. Vous avez déjà entendu l’air de l’antre du troll, mais vous connaissez peut-être moins la chanson de Solveig, cette jeune princesse qui attend toute sa vie un homme l’ayant abandonnée… Les harmonies riches et inventives proviennent là encore de chants traditionnels, norvégiens cette fois. L’amour tragique et malheureux, en norvégien ou en français chanté par une anglaise, reste, après tout un sentiment universel…
Que conclure de tout cela ? Que Gainsbourg n’était qu’un vil plagieur ? Pas du tout. Ces emprunts sont souvent parfaitement assumés, notamment dans le titre de certaines chansons. Ils nous rappellent que la musique classique n’est pas une “case” dans laquelle ranger des morceaux de Mozart ou Chopin. C’est avant tout de la musique, tout simplement, et une musique souvent traversée de chants folkloriques, populaires qui ont survécu au temps et ont été sans cesse réinterprétés par des compositeurs dans la lignée desquels Gainsbourg s’inscrit pleinement.
Alors, quelle est votre chanson préférée ?
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