Obsession, épisode 4 : Perfect Blue, ou l’inquiétant labyrinthe des illusions
Plongeon dans l’univers japonais des « idoles » et de leurs idolâtres avec le thriller d’animation Perfect Blue, de Satoshi Kon l’expert dupeur…
Les idols sont des êtres esthétiquement parfaits. Filles ou garçons, ils sont beaux, talentueux, jeunes, souvent en bands, et maîtrisent généralement plus que tout autre artiste l’art de la danse synchronisée sur des rythmes de J-Pop. Ils bénéficient surtout et avant tout d’une sur-médiatisation écrasante d’efficacité, leur construisant une image infaillible auprès d’un public admirateur. Vous l’avez compris, les idols sont des starlettes souvent de passage, qui évoluent ou disparaissent aux aléas de leur popularité.
Dans Perfect Blue, on suit l’histoire de Mima, jeune chanteuse au cœur d’un trio d’idols, qui décide de changer de carrière pour évoluer vers un métier qui lui correspond plus : celui d’actrice de cinéma. N’ayant obtenu pour commencer qu’une réplique dans un thriller douteux, Mima questionne son choix lorsque le duo formé de son ancien groupe cartonne, et qu’elle se voit proposer une scène de viol comme seule évolution de son rôle. Ici débute une douloureuse réflexion sur l’avenir de la jeune femme, cette dernière tiraillée entre ses aspirations personnelles et les volontés de ceux qui l’entourent sur sa carrière.
Ce film propose plusieurs sujets qui touchent de près ou de loin à notre obsession du moment.
De prime abord, la société dépeinte par Satoshi Kon est une société qui idolâtre et fossilise des êtres dans des personnages voulus parfaits, au point que les individus, spectateurs, sont forcément coupés de la réalité de par la distance établie entre ces êtres divins et le commun des mortels.
Ensuite, le film aborde un sujet quand même assez spécifique à la population japonaise, et relativement méconnu : il traite de l’armée de trentenaires célibataires, probablement vierges pour la plupart, n’entretenant des rapports qu’exclusivement fictionnels ou virtuels avec le sexe opposé.
Le principal stalker de Mima est un humanoïde louche et un fervent représentant de la gent décrite ci-dessus. Celui-ci accepte peu le revirement jugé néfaste de sa dite « protégée », et va faire éprouver au spectateur la profondeur de son obsession… Présenté dès les premiers plans, ce personnage incarne le compte à rebours d’un drame qui se trame, prêt à exploser à n’importe quel moment, qui tiendra en haleine tout au long du film.
Réalisé en 1997, Perfect Blue aborde avec justesse l’avènement d’internet et de ses dérives : faux blogs, usurpation d’identité sur le net, rumeurs incontrôlées… Autant de facteurs qui confortent les individus dans leur isolement et leurs angoisses, encourageant ainsi la rupture avec une réalité qui leur déplaît.
Le dernier sujet que j’aimerais évoquer est la poursuite de la célébrité, tant pour Mima que pour ceux qui l’encadrent : la soif de reconnaissance d’un certain talent ou d’une place spéciale au sein d’un groupe, ici au sein d’une société, est ce qui va conduire les personnages dans les plus profonds retranchements de leurs esprits. Et parfois jusqu’à l’aliénation totale !
Perfectionniste de l’illusion, Satoshi Kon abuse des mises en abîmes de sorte qu’il est quasi impossible de trouver un sens dans les méandres psychologiques des personnages. Une technique qui fait partie de Perfect Blue, mais qui reflète une véritable particularité du travail de ce réalisateur : il est souvent difficile de différencier la ligne conductrice du film de l’histoire individuelle des personnages.
L’un des atouts de l’animation est sans aucun doute l’infinie liberté de création, permettant aux réalisateurs d’être au plus près de leur imagination. Pour Satoshi Kon, cette liberté mélangée à son souci de réalisme, tombant parfois dans le trash, forme le combo gagnant de ces œuvres : un mélange salé d’une grande claque artistique et d’un sentiment que quelque chose nous a forcément échappé.
Obsédant !
Crédits photos : Qimono
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